Taiwan est loin. Habituellement, les élections législatives et présidentielles d’une ile de la Mer de Chine n’entrent pas dans nos préoccupations immédiates. Cependant, le statut international particulier du 4e des “dragons asiatiques” fait de cette démocratie à la souveraineté contestée un des points de tension majeurs du monde contemporain.
Si la République populaire de Chine dite “continentale”, qui considère l’île comme une de ses provinces, décidait de forcer l’application de sa souveraineté sur Taiwan, les conséquences géopolitiques dépasseraient très largement le seul cadre régional. Après l’Ukraine et le Proche Orient, il y a là le potentiel pour un troisième front dans la grande confrontation que mènent les puissances révisionnistes de l’ordre international contre les puissances bénéficiaires et garantes de cet ordre (cf. EIH 23/10/23).
- Taiwan est de facto autonome et indépendante depuis des décennies, et bénéficie de la garantie politique et militaire américaine.
- Il y a pour Washington un enjeu de sécurité nationale et globale majeur, puisque la mainmise de Pékin sur l’île offrirait enfin un accès au grand large de l’océan Pacifique pour ses sous-marins.
- Pour l’Union européenne, Taiwan est un partenaire stratégique tout particulièrement pour la place qu’il occupe dans la chaine de valeur des semi-conducteurs, composants essentiels des technologies vertes et de l’industrie du numérique.
- Ecartelée entre son autonomie stratégique, ses enjeux industriels et ses liens transatlantiques, l’UE a déjà profondément révisé sa politique vis à vis de la Chine, en particulier ses liens commerciaux (cf. EIH 18/6/23).
- Bruxelles a renforcé ses liens diplomatiques et commerciaux avec Taiwan, déjà partenaire commercial majeur de l’UE depuis 2020.
- Les enjeux électoraux taiwanais se sont focalisés sur l’attitude vis à vis de la Chine continentale (indépendance ou statu quo) dont les ramifications sont profondes.
- Malgré l’augmentation constante des budgets à la Défense et la multiplication des contacts entre Taipei et Washington, l’armée taïwanaise ne peut pas rivaliser avec son puissant voisin.
- Celui-ci accroît ses effectifs et sa flotte depuis plusieurs années, multiplie ses exercices militaires à proximité du détroit de Taiwan.
- Malgré un terrain peu favorable à une invasion au sol, il l’emporterait dans une confrontation face à Taiwan sans l’intervention des Etats-Unis.
- La pression est aussi économique.
- Taiwan est une économie florissante et le leader mondial des semi-conducteurs, mais la majorité de ses usines sont sur le continent chinois, qui représente 40% des exportations de l’île.
- La saisine des usines taïwanaises par Pékin et un blocus du détroit par lequel transitent 40% du commerce entre la Chine et l’Europe plongerait immédiatement l’île dans une crise politique et économique sans issue immédiate.
- Focalisée sur le rapport à la Chine, l’élection du 13 janvier 2024 a opposé deux principales forces, d’un côté le Kuomintang (KMT), hériter direct du parti nationaliste de Tchang Kai-chek, et favorable à un rapprochement avec Pékin, et de l’autre le Parti démocrate progressiste (DPP), indépendantiste, arrivé au pouvoir pour la première fois en 2001.
- Tentant de troubler le jeu, le candidat du Taiwan People’s Party (TPP), Ko Wen-je l’ancien maire de Taipei, pour qui la clé est “une relation solide avec les Etats-Unis”, voulait séduire les jeunes électeurs avec un autre message.
- Sa campagne s’est concentrée sur le coût de la vie et les salaires, et une approche prudente quant aux relations avec la Chine.