“Le destin de l’Europe est géopolitique”, écrivions-nous pour l’ancien JDD en 2022 pendant la PFUE – et cela passe par un élargissement à l‘Est et aux Balkans. Pendant plusieurs années, le processus d’adhésion à l’UE se heurtait à la “fatigue de l’élargissement”, et à sa “mise sur pause” par le précédent Président de la Commission, J.C. Juncker, au tout début de son mandat.
- Avec les derniers développements à sa frontière orientale et la guerre en Ukraine, l’élargissement de l’UE sera sans aucun doute au cœur des enjeux et du mandat de la prochaine Commission européenne.
- Directeur de recherches émérite au CERI et Professeur à Sciences Po, Jacques Rupnik l’avait évoqué avec nous déjà en 2021.
- Alors que patine la contre-offensive ukrainienne, et que se profile la perspective d’une guerre longue, voire pire, d’un conflit gelé, la Commission européenne a rendu cette semaine son rapport sur l’élargissement.
- Elle y recommande aux Etats membres d’ouvrir les négociations d’adhésion avec deux pays : la Moldavie et l’Ukraine.
- Cela représente une avancée très rapide pour ces deux ex-République soviétiques, officiellement candidates depuis l’année dernière (cf. EIH 16/6/22).
- Cependant, il faut éviter toute précipitation car, comme le rappelle cette analyse au fond de Contexte l’ouverture des négociations ne signifie pas l’adhésion rapide – même s’il s’agit d’une très grande étape de franchie.
- Pour rappel, certains Etats, tels que la Serbie et le Monténégro négocient depuis une décennie.
- En amont du rapport de la Commission, sa présidente s’est rendue à Kiev la semaine dernière – pour la sixième fois depuis le début de la guerre.
- Elle y a publiquement reconnu et salué les efforts et progrès de l’Ukraine pour répondre aux exigences européennes.
- L’Ukraine a notamment mis en place une législation anti-corruption importante.
- Les mesures principales visent à accroitre l’indépendance judiciaire, lutter contre la corruption et limiter l’influence des oligarques sur la vie politique. Un enjeu crucial, comme nous le rappelions déjà (cf. EIH 12/6/23).
- Une loi de dé-oligarchisation datant de septembre 2021 avait déjà montré la volonté ukrainienne de satisfaire les conditions européennes.
- Cependant, la corruption reste encore très présente dans le pays. Ce bilan mitigé sert d’ailleurs de justification à la Hongrie et la Slovaquie pour réduire leurs aides à la défense ukrainienne.
- Ce voyage a aussi permis à l’UE de réaffirmer son soutien militaire à l’Ukraine et maintenir les sanctions contre la Russie.
- Avec les affrontements ayant lieu entre le Hamas et Israël, le président V. Zelensky s’inquiétait publiquement que l’engagement des Occidentaux diminue en conséquence.
- De fait, le soutien militaire des Etats-Unis s’est vu réduit. A cause de la guerre au Proche Orient premièrement, mais dans un contexte d’élections présidentielles en 2024, le soutien à l’Ukraine divise outre Atlantique.
- La Moldavie se retrouve aussi parmi les bons élèves, avec des progrès significatifs depuis l’obtention du statut d’Etat candidat.
- La dynamique est encourageante :
- L’UE soutient financièrement le programme de réformes, qui montre la détermination du gouvernement moldave de remplir les conditions, comme le rappelle cette analyse de l’expert Denis Cenusa pour un think tank européen.
- La Moldavie, qui avait accueilli la CPE en juillet dernier a été saluée aussi à celle de Grenade en octobre.
- Nous analysions les enjeux du processus d’élargissement pour la Moldavie à cette occasion (cf. EIH 29/5/23).
- Le sommet de décembre à Bruxelles devra décider, à l’unanimité des 27, de l’ouverture ou non des négociations avec l’Ukraine et la Moldavie.
- Le rapport de la Commission recommande également aux 27 d’accorder le statut d’Etat candidat à la Géorgie.
- Une nouvelle accueillie comme une victoire en coupe du monde, si l’on en croit les images de joie enregistrées dans les rues de Tbilissi à l’annonce de cette décision.
- Ces images tranchent avec la tristesse de celles de mars 2023.
- Un statut pour lequel la diplomatie géorgienne est à pied d’œuvre, comme nous expliquait longuement S.E Gotcha Jakakhishvili, Ambassadeur de Géorgie à Paris.
- « L’Europe, c’est notre avenir, il n’y en a pas d’autre », affirme la présidente géorgienne Salomé Zourabichvili, sur Franceinfo.
- Dans un mouvement plus surprenant, la Commission recommande aussi d’engager les négociations avec la Bosnie-Herzégovine.
- Demeurent pourtant encore 14 critères manquants – sur la démocratie et l’Etat de droit principalement.
- Les représentants serbes de Bosnie se présentent proches de V. Poutine et de R.T. Erdogan.
- Dans ce processus hybride de technocratie et géopolitique, l’équilibre dynamique est la règle. L’absence de progrès engendre des reculs. C’est le cas pour la Turquie
- Officiellement candidate depuis 1999, les négociations d’adhésion avec l’UE ouvertes en octobre 2005 mais restent au point mort depuis 2019.
- Avec l’avancée rapide de l’Ukraine, la Turquie voit son avenir européen s’éloigner peu à peu.
- L’Autriche a même proposé de mettre un point final aux négociations.
- Les Européens et la Turquie se contentent pour l’instant de relations ‘donnant-donnant’.
- Depuis le “pacte faustien” avec les Etats Membres de l’UE, la Turquie reçoit des fonds européens pour contrôler les flux migratoires provenant du Moyen Orient.
- La relation d’Ankara avec l’UE est une succession de tensions et détente particulièrement dans la Méditerranée orientale (cf. EIH 14/10/21) et un défi géopolitique permanent (cf. EIH 9/9/22).