KRAMER CONTRE KRAMERSKY, 3D VERSION

Gabriel Rom, dans une analyse pour Visegrad Insight, revient sur le conflit autour de l’interprétation à donner à l’État de droit européen entre Bruxelles et Varsovie. Les désaccords entre l’UE et la Pologne, sur ce sujet, sont en cours depuis 2015 avec la victoire électorale du parti « Droir et Justice » (PiS) et à ses actions contre le Tribunal Constitutionnel en 2016 et les médias mais se trouvent accentués en raison de la crise économique actuelle en Pologne dans le contexte du conflit en Ukraine et aux conséquences financières  de la fin des exportations d’énergétiques russes.

  • Les collectivités territoriales de toute la Pologne sont confrontées à de lourdes dettes dans un contexte d’inflation croissante, le gouvernement central polonais n’étant pas en mesure de fournir un soutien financier suffisant en l’absence des fonds de relance européens votés pour faire face à la crise pandémique et autres aides budgétaires structurelles.
    • L’article montre que le discours sur les fonds européens a été instrumentalisé par le gouvernement du PiS sur deux fronts :
      • il a été détourné par un débat sur l’influence de l’UE en Pologne ;
      • et instrumentalisé dans une bataille plus large que les conservateurs polonais mènent depuis 20 ans sur la nature de la souveraineté et de la démocratie polonaises.

  • Selon G. Rom, les conservateurs polonais considèrent l’évolution vers un système judiciaire garant de l’État de droit – tel qu’interprété par l’Union – comme une atteinte à la volonté du peuple et une distorsion de la véritable démocratie et de la souveraineté nationales.
    • En effet, cette interprétation de l’État de droit interdit de revenir sur des principes qu’ils considèrent comme politiques (les droits sexuels et reproductifs féminins, par exemple.

  • Il explique que dans les années 1990, alors que la Pologne établissait son système juridique selon les valeurs démocratiques libérales européennes, le mouvement national-conservateur a émergé, sur les décombres de Solidarnosc et trouvé son premier dirigeant élu avec Jarosław Kaczyński et son frère jumeau, issus eux aussi de l’opposition au régime socialiste, qui plaidait pour une plus grande séparation entre le pouvoir du gouvernement et le pouvoir judiciaire, avec pour objectif ultime d’affaiblir le pouvoir de la cour constitutionnelle.
    • La responsabilité de la prise de décision, selon cette branche de la pensée, ne devrait pas reposer sur une entité juridique intouchable, mais plutôt entre les mains libres des dirigeants politiques.

  • Depuis 2021, l’argument selon lequel le droit européen représente un assaut contre la souveraineté polonaise et l’affaiblissement du système judiciaire du pays a trouvé une manifestation concrète quand les tribunaux polonais ont jugé que l’objectif de l’UE de « créer une union sans cesse plus étroite entre les peuples d’Europe » entrait en conflit avec la constitution polonaise.

  • Ce désir de se séparer de cette vision de la construction européenne, reposant sur un ordre constitutionnel répondant à certaines exigences de l’État de droit, a été encouragé par ce que le PiS perçoit comme un changement géopolitique provoqué par la guerre en Ukraine.
    • Les critiques de la vision de l’État de droit polonais seraient plus indulgents étant donné le rôle clé que la Pologne a joué dans l’accueil des réfugiés ukrainiens.
      • La visite de Joe Biden en mars 2022 illustre ce nouveau virage et marque un changement radical par rapport à ses déclarations de l’année précédente où il affirmait que « la démocratie était en danger » en Pologne.
    • La question reste donc de savoir si la guerre doit modifier la manière dont l’UE traite les violations de l’État de droit.
      • Les arguments avancés par les journalistes polonais et les personnalités politiques de l’UE de tout l’éventail politique, répètent tous la question clé de ce conflit en cours : l’UE est-elle une union de valeurs ou un marché unique ?
      • L’analyste politique Wojciech, par exemple, soutient que l’UE doit traiter les questions d’État de droit comme si la guerre en Ukraine n’existait pas tout en soutenant la Pologne comme s’il n’y avait pas de problèmes d’État de droit, comparant cette stratégie au processus de paix d’Oslo et qui pourrait théoriquement s’intégrer avec succès dans un mode de coopération européenne en patchwork.

  • Gabriel Rom estime que cette tension sur l’État de droit en Pologne atteindra son paroxysme avec les crises énergétique et économique qui se profilent à l’horizon cet hiver.
    • Le journaliste Michal Sutowski affirme que le mécontentement de la population face à l’inflation de 15 à 18 % visible aujourd’hui est inévitable et se trouvera dirigé soit vers l’UE, soit vers la Russie.
    • Même avec des sondages montrant que le soutien de l’UE en Pologne a augmenté depuis 2016, Gabriel Rom estime que l’UE doit affirmer sa capacité à soutenir géopolitiquement la Pologne par un engagement en faveur de l’indépendance énergétique afin que l’UE soit perçue comme avantageuse.
      • Plus particulièrement, une démarche audacieuse vers une autonomie stratégique géopolitique dans ce domaine impliquant des pays européens au-delà de l’alliance franco-allemande peut agir comme un outil puissant pour étouffer les doutes sur l’union et, ce faisant, renforcer la critique contre les violations de l’État de droit qui entravent une coopération européenne réussie.