MARSELLUS

Il y a bien des manières de faire taire la presse. La censure est la plus grossière, mais dans nos États de droit aux ambitions démocratiques, la procédure judiciaire risque toujours d’être détournée pour des fins contraires à ses objectifs. Mercredi 27 avril, la Commission européenne a ainsi proposé une directive visant à écarter les potentielles « poursuites-bâillons ». Ces « Strategic Lawsuits Against Public Participation » (SLAPP), mécanisme de harcèlement judiciaire selon La Croix, visent les diffuseurs d’informations d’intérêt public.

  • Dans l’Édito M sur France Inter, Sonia Devillers explique que le principe de cette manœuvre particulière est de décourager les médias de publier sur des sujets sensibles.
    • Un particulier très riche et/ou influent, une entreprise, voire un État peuvent ainsi porter une enquête médiatique en justice, pour des motifs très divers (diffamation, atteinte au secret défense ou des affaires).
    • Dans ce cadre, l’accumulation de visites d’huissiers, de pièces à fournir, ou encore des frais d’avocats sont autant de raisons qui peuvent venir intimider les journalistes et, de surcroît, entraver le travail des médias indépendants et mener à une forme d’autocensure.

  • La nécessité d’une législation européenne pour lutter contre le harcèlement judiciaire des journalistes, activistes et lanceurs d’alerte remonte à l’assassinat de Daphne Caruana Galizia, en octobre 2017.
    • Probablement pour empêcher la journaliste de révéler l’existence d’un pacte de corruption lié à la construction d’une centrale électrique, cette dernière fut assassinée dans l’explosion de sa voiture. Un meurtre dont les commanditaires n’ont à ce jour pas été condamnés.
    • La Coalition contre les Slapp en Europe a estimé qu’entre 2010 et 2021, 570 cas de procédures-bâillons auraient eu lieu dans un autre pays que celui où se trouve le journaliste visé.

  • La vice-présidente de la Commission européenne, Vera Jourova, a soulevé les difficultés à élaborer un dispositif efficace dans ce domaine, car l’UE ne dispose que de peu de compétences en matière de liberté d’expression et vis-à-vis des systèmes juridiques des États membres, selon Le Monde.
    • L’article précise que la Commission ne peut avoir compétence que pour légiférer sur des cas transfrontaliers : si le sujet relève de l’intérêt général ou concerne d’autres pays que celui où la procédure judiciaire est engagée.
    • Nous relèverons que la Convention européenne des droits de l’homme introduit une obligation positive de préserver la liberté des médias pluralistes et de « créer un environnement propice à la participation au débat public ».
      • Des recours peuvent donc être envisageables dans ce cadre mais les délais de recours imposent une certaine aisance financière de la part de celui victime de SLAPP.
      • Cependant, le juge national peut agir sur cette base comme en témoigne la décision rendue par la Cour d’Appel de Paris du 28 septembre 2017, commentée par Lextenso.