A l’exception des moments électoraux, nous nous abstenons de commenter la vie politique des Etats membres. Mais ces deux dernières semaines, du scandale de corruption qui déstabilise le gouvernement portugais, aux négociations complexes d’une amnistie pour les nationalistes catalans accusés de sédition, jusqu’aux tribulations de la constitution du nouveau gouvernement polonais, on notera de nouvelles illustrations de la tendance inquiétante du pouvoir constituant à tenter de s’affranchir de l’esprit sinon de la lettre de l’Etat de droit. Signe de nos temps populistes : les logiques partisanes font primer la fin sur les moyens.
- Après la victoire de l’alliance d’opposition libérale-conservatrice le 15 octobre dernier (cf. EIH 22/10/23 ), le président polonais Andrzej Duda nationaliste-eurosceptique (PiS) a tenté de garder sa famille politique au pouvoir
- Arrivé formellement en tête du scrutin, le parti Droit et Justice a cependant perdu sa majorité parlementaire.
- Ses chances de former une coalition sont peu probables
- D’autant que les présidents de la Diète et du Sénat tout juste désignés l’ont remporté face aux candidats et candidates du PiS.
- A la Diète c’est le très populaire ancien journaliste Szymon Holownia qui l’emporte largement.
- Après une campagne de diabolisation de l’adversaire la polarisation mène à toutes les extrémités.
- Pour l’ancien et futur Premier ministre Donal Tusk, cette tentative s’apparente à une tentative « de voler quelques jours de plus ».
- Après avoir gagné son pari de prendre les conservateurs de court avec des élections anticipées (cf. EIH 29/5/23), le Premier ministre espagnol socialiste (PSOE), Pedro Sanchez, a dû négocier un accord avec les nationalistes catalans (cf. EIH 26/09/23) pour trouver une majorité et obtenir un nouveau mandat.
- La grande concession prend la forme d’une “loi d’amnistie” des indépendantistes catalans
- Cette proposition soulève un problème politique et des questions de légalité et d’Etat de droit.
- D’après cette loi, plus de 300 personnalités politiques et militants indépendantistes bénéficieront d’un sursis.
- Elle pourrait également permettre à un certain nombre de policiers d’être libérés des charges liées à la manière dont ils ont traité les manifestants pendant cette période.
- La loi est à usage unique.
- Si une personne graciée en vertu de cette loi tente à nouveau de faire sécession illégalement, elle pourrait donc être poursuivie.
- Ce que la loi d’amnistie ne mentionne pas, c’est l’aspect le plus controversé de l’accord.
- Avec cette forme de « lawfare« , c’est à dire d’usage des procédures judiciaires pour des raisons politiques, souvent pour traquer ses adversaires, P. Sanchez prend le risque d’affaiblir la séparation des pouvoirs dans le pays.
- Les partis de droite et surtout d’extrême droite (Vox) ainsi que des socialistes opposés aux nationalistes régionaux ont appelé à des manifestations : une telle mesure est perçue comme contraire aux principaux fondamentaux d’un État démocratique
- Dans 52 grandes villes espagnoles ont eu lieu des protestations, le 12 novembre, contre la loi d’amnistie.
- Rien qu’à Madrid, défilaient plus de 80.000 manifestants, dénonçant la “rupture de la nation”.
- L’opposition tente de mettre en œuvre des « résistances civiles » et qualifie la décision du gouvernement de « Putsch ».
- Avec la réélection de Pedro Sanchez, la péninsule ibérique est l’un des derniers territoires où la social-démocratie résiste encore à la poussée droitière générale sur le continent. Longtemps préservée des fièvres nationalistes fascisantes, elle a vu cependant avec Vox en Espagne puis Chega au Portugal des partis d’extrême droite à la croissance rapide venir perturber les équilibres politiques nationaux.
- Le scandale qui déstabilise le gouvernement portugais, et vient de provoquer la démission du Premier ministre Antonio Costa, est une affaire de corruption et d’abus de pouvoir.
- Dans ce pays qui est le premier producteur de lithium d’Europe, des concessions minières auraient été accordées de façon abusive
- La plus récente venait à peine d’être validée, le 7 septembre 2023.
- Les chefs d’accusation sont graves : détournement de fonds, corruption de personnalités politique et trafic d’influence.
- Si A. Costa plaide non-coupable, il n’en est pas à sa première accusation.
- Il est aussi soupçonné d’être intervenu pour débloquer des procédures de construction de data center.
- Ses justifications, en outre, se résument à une maladroite tautologie d’autorité : « La dignité des fonctions de Premier ministre n’est pas compatible avec un quelconque soupçon sur son intégrité »
- Le 14 novembre 2023, une nouvelle information bouleverse le cours de l’affaire : la justice avoue s’être trompée de nom et explique qu’elle aurait confondu, par homonymie, le Premier ministre avec António Costa Silva, ministre de l’Économie.
- Ce quiproquo qui ajoute une touche ridicule à l’affaire paradoxalement aggrave le sentiment d’exaspération populaire.
- Cette faille flagrante dans la crédibilité du système judiciaire pourrait en outre nourrir des théories conspirationnistes sur la faillite des élites.
- La démission d’Antonio Costa reste effective, son nom étant toujours impliqué dans des affaires scandaleuses
Comme nous l’écrivions il y a cinq ans pour Esprit, c’est d’abord dans les reculs et les défaites de la social-démocratie que prospèrent les nouvelles droites radicales et extrêmes. Le scandale qui secoue le Portugal et les élections qui se profilent pourraient bien venir confirmer cette équation.