SUETS

En pleine résurgence du contexte terroriste, le travail de renseignement est au cœur d’une affaire pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne. Beaucoup s’inquiètent des violations des droits et libertés fondamentales, sous couvert d’une protection étatique de l’intérêt général, parfois difficile à saisir.  

  • L’affaire est ancienne et convoque les démons du passé : 
  • Le 30 novembre 2015, trois associations françaises (la Quadrature du Net, le French Data Network ainsi que la Fédération FDN) déposent une requête introductive. 
  • Devant le Conseil d’État français, ils contestent la conformité de la « loi renseignement » aux droit fondamentaux, à travers ses décrets d’application.  
  • La requête s’était inspirée de l’Affaire Digital Right Ireland de 2014, où la Cour de justice de l’Union européenne annulait une directive européenne qui « imposait un même régime de conservation généralisée dans toute l’Union ». 
  • Le Conseil constitutionnel saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, déclare l’article L. 811-5 de la loi “contraire à la Constitution” en juin 2015.  
  • Les requérants dénoncent alors « un trou législatif béant » ouvrant « la voie à un espionnage de masse ».  

 

 

  • Dans un arrêt du 6 octobre 2020 très attendu, la grande chambre de la CJUE, se prononce sur l’articulation entre le droit au respect de la vie privée et la conservation des données personnelles et le secret des correspondances.  
  • Le jour même, les associations requérantes publient un premier communiqué de presse concernant la décision qu’elles qualifient de « défaite victorieuse ». 
  • Pour les juges de Strasbourg, des mesures législatives prévoyant une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation sont contraires au droit de l’UE, et précisément à la Charte des droits fondamentaux.  
  • Aussitôt l’interdiction posée, la Cour s’efforce de poser les nombreuses exceptions pouvant autoriser certaines mesures dont les associations craignent les abus.   
  • Le juge de l’UE a cependant avancé un cadre plus protecteur des libertés fondamentales que ce que prévoit le droit français.  

  

  • Les hostilités reprennent : selon Mediapart, La Quadrature du net dénonce un « État de droit troué comme un gruyère ».  
  • Selon la Quadrature du Net, la HADOPI « est un outil de surveillance de masse » ayant identifié, rien qu’entre les mois de février et août 2019, 319 175 personnes.  
  • Conformément à son souhait de dépasser « l’enjeu franco-français » afin de faire émerger le sujet de la « surveillance généralisée de la population dans des États démocratiques », elle reprend la méthode précédente. 
  • Dans une décision QPC du 20 mai 2020, le Conseil constitutionnel censure des dispositions organisant l’accès de la HADOPI aux données de connexion des internautes. 
  • Une censure qualifiée de « boiteuse » créant une confusion sur la légalité du travail de l’HADOPI. 
  • Pour répondre à ce flou juridique, le Conseil d’Etat transmet une nouvelle fois une question préjudicielle à la CJUE.  
  • Les dissidences des juridictions françaises sont qualifiées de « Frexit sécuritaire » libérant « les renseignements français des principes de l’État de droit » primant depuis plus de dix ans dans la jurisprudence de l’UE.  
  • Le 7 mars 2023, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne décide de renvoyer l’affaire en assemblée plénière.  
  • L’avocat général, Maciej Szpunar, présente le 28 septembre 2023 des conclusions mettant le feu aux poudres.  
  • Entre autres, autoriser l’accès aux données en période de danger exceptionnel n’est pas un revirement de jurisprudence mais plutôt une adaptation pragmatique.  
  • Dans ce bras de fer, la doctrine voit un juge français « animé par son rôle de gardien de la puissance de l’État », d’autant plus eu égard au précédent établi par le Conseil d’Etat dans l’arrêt French Data Network de 2021.