LE ROI DE LA POMME DE TERRE

Caractéristique inquiétante de nos temps tragiques, les choix démocratiques des électeurs peuvent désormais avoir de sérieuses incidences sur l’état de l’Etat de droit – et leur avenir démocratique. C’est le cas en Slovaquie, où les élections législatives du samedi 30 septembre 2023 ont placé le parti Smer, dirigé par Robert Fico, en première place. Membre de la famille social-démocrate mais inculpé pour formation de groupe criminel organisé, et populiste dans ses pratiques et son discours, l’ancien Premier ministre Fico, après une campagne fondée sur une rhétorique anti-OTAN et anti-migrants, le redevient pour la 3e fois, à la tête d’une coalition eurosceptique et prorusse.  

  

  • Argumentant que le coût des sanctions est plus fort pour l’UE que pour la Russie, sa campagne de ne plus apporter de soutien politique et militaire à l’Ukraine semble avoir séduit les électeurs.  
  • Cette victoire consolide la position minoritaire de la Hongrie de Viktor Orbán et pourrait favoriser d’autres courants prorusses, comme en Bulgarie.  
  • Elle s’inscrit aussi dans une vague d’euroscepticisme montant, particulièrement nette dans les gouvernements au pouvoir en Europe centrale, mais qui concerne également des partis en France, en Allemagne et en Espagne. 
  • Une tendance qui affecte aussi les prochaines élections législatives décisives (Pologne en octobre, Pays-Bas en novembre), à moins d’un an des élections pour le Parlement européen.   
  • L’inquiétude à Bruxelles et dans les capitales se cristallise autour de la dérive illibérale du nouveau gouvernement slovaque qui pourrait renforcer les tensions entre pays membres et fragiliser l’UE.  
  • De l’élection pourrait découler une érosion progressive des droits fondamentaux, en particulier la liberté de la presse et l’indépendance de la justice, en Slovaquie.  
  • Le meurtre du journaliste Ján Kuciak, qui enquêtait sur la corruption du gouvernement et de l’entourage de R. Fico, en avait été un premier signe d’alerte en 2018.  
  • Renforcés par l’élection slovaque, les gouvernements illibéraux pourraient aussi paralyser le processus de réforme des institutions, nécessaire à l’élargissement de l’UE. 
  • Si la Slovaquie dispose d’un poids moindre dans les décisions européennes en raison de sa petite population, son droit de veto peut peser sur certains sujets, comme les questions de défense. 
  • Cette campagne a en outre été marquée par l’usage notable de l’intelligence artificielle au service de la désinformation et de la manipulation électorale.  
  • De nombreux deep fakes (enregistrements ou vidéos truqués) ont circulé sur les réseaux sociaux durant la campagne, discréditant les adversaires de Robert Fico ou favorisant les récits prorusses, mettant ainsi en péril le débat démocratique.  
  • Le Digital Services Act, entré en vigueur fin août, pourrait changer la donne dans les élections de l’an prochain.  
  • Malheureusement, ces procédés de désinformation sont amenés à se multiplier et sont déjà utilisés par la Russie comme technique de déstabilisation de l’UE.