Culture stratégique européenne. A la recherche d’un récit mobilisateur. Propos introductifs Sénateur André Gattolin.

Propos introductifs

Sénateur André Gattolin,

Vice président de la Commission des Affaires européennes, Vice président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées.

Le terme de stratégie est généralement associé à la guerre. Si Stratos en grec signifie armée, stratégie – étymologiquement – consiste en l’art de mener les armées. A ce sujet, la lecture indispensable semble être Introduction à la stratégie du général André Beaufre, publié en 1963. La stratégie y est définie comme l’art de la dialectique des volontés, en employant la force pour régler les conflits, et en utilisant au mieux les moyens dont on dispose. Dans ces lignes, on perçoit une conscience politique très forte : l’affrontement militaire n’est pas toujours nécessaire. Concernant l’Europe d’aujourd’hui, ces réflexions sur notre stratégie européenne commune posent plusieurs questions.

  • L’Europe a-t-elle un/ou plusieurs ennemis ? et si oui: quelles sont leurs vulnérabilités et nos moyens d’agir ?

  • L’Europe a-t-elle ou doit-elle avoir une vocation défensive ?

Il faut bien garder en tête qu’il existe une rhétorique propre à ce que le Kremlin dénonce comme une « extension de l’OTAN et/ou de l’Europe ». L’Europe n’est jamais tactique et ne se présente jamais en force mais l’Europe dispose d’une influence normative indiscutable. Et ces règles du marché commun qui entraînent des conséquences et des implications dans tous les domaines sont perçues, depuis l’effondrement de l’URSS, comme une offensive portée à la culture russe.

  • Face aux menaces, l’Europe mobilise-t-elle tous les moyens dont elle dispose ?

En France, on a l’impression de découvrir la guerre que l’on appelle « hybride ». L’expression est récente, l’idée pas du tout : depuis longtemps la France et d’autres Etats occidentaux font usage de sanctions économiques. La guerre hybride n’implique donc pas exclusivement des moyens utilisés par des Etats autoritaires, elle peut aussi comporter des moyens que nous jugeons acceptables. L’UE et East StratCom commencent à penser la guerre informationnelle. On s’en réjouit mais il faut toujours insister sur le levier tenant à une vision exigeante de l’Etat de droit. Tous ces enjeux ne sont pas du ressort exclusif de l’armée.

 

  • L’Europe dans son action est-elle coordonnée ?

La cohésion de l’Europe implique une cohérence dans ses politiques sectorielles. Les directions de l’UE travaillent en silos ce qui fait qu’elles sont très spécialisées mais pas forcément coordonnées. Cela ne va pas forcément de soi, mais une chose est sûre : entre Etats membres, il est indispensable de s’accorder.

La question de la cohésion se retrouve aussi dans les choix nationaux et européens poursuivis dans ces politiques sectorielles. Ces choix doivent être coordonnés, c’est impératif en matière de rapports d’influences. Il n’est pas question de remettre en cause le principe d’ouverture du monde de la recherche et de la science mais il est impératif de prendre en considération les craintes du Service européen des Affaires extérieures lorsque l’on partage des savoirs avec des chercheurs de certaines nationalités.

 

  • L’Europe a-t-elle une pensée stratégique ?

 

Quelques bribes seulement. Il y a des sujets majeurs sur lesquels l’Europe doit être amenée à se positionner. Mais on dirait qu’il n’y a aucune véritable réflexion de politique étrangère à propos de la Méditerranée ou de l’Afrique en particulier. La « boussole stratégique » a été adoptée – on s’en réjouit – mais l’on regrette de ne pas saisir une stratégie à 10 ou 20 ans. Le dernier rapport parlementaire du Sénat sur la zone Indo pacifique signale par exemple une prise de conscience mais on ne voit toujours pas comment qualifier la Chine, à la fois partenaire, concurrent et rival systémique avec qui on veut continuer à commercer. On perçoit une réflexion sur le Moyen-Orient mais malheureusement, rien n’est perceptible sur les questions de transit de marchandises, légales ou illégales, alimentaires, énergétiques rien sur les migrations et trafics d’êtres humains. Pourtant à la lumière des nouvelles dynamiques géopolitiques, Suez pourrait redevenir un centre de tension.

Il faut aussi admettre et penser le recentrage de la problématique européenne vers l’Est. Le rôle de la Pologne, de la Roumanie et des Etats baltes, leurs ambitions et perceptions sont devenues centrales pour toute l’Europe, alors que beaucoup les considéraient encore, il y a peu, comme les petits frères des années 2000.

 

  • L’Europe a-t-elle un récit mobilisateur, qu’il soit défensif ou offensif ?

Difficile à dire tant que nous ne partageons pas notre vision du futur, en Europe comme en France. Si on ne sait pas nommer et dire qui est l’ennemi, on ne mobilisera pas les opinions. Nous avons des rivaux et il faut bien admettre que c’est ainsi que se construit une identité. Tous les grands pays, à l’heure actuelle, se projettent en 2050 voire 2100. Ici, on semble s’interdire un futur, on se limite à des projections court-termistes.

La France, connue pour ses travaux prospectifs à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, doit aujourd’hui faire le constat d’un sérieux déficit de prospective. Il faut un réarmement intellectuel et prospectif de ce pays et de l’Union européenne. Autrement, nous passerons à côté de l’évolution du monde.