Pourquoi la France est désignée comme responsable dans les désaccords entre la Bulgarie et Macédoine du Nord

La Présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) se clôture avec un symbole fort avec la reconnaissance du statut de candidat de l’Ukraine et de la Moldavie à l’Union européenne (UE) et, dans une moindre mesure, avec le vote de la levée du veto bulgare relatif à la Macédoine du Nord. Malheureusement, nous sommes loin d’en conclure à un prochain élargissement enthousiaste : les dossiers concernant les Balkans occidentaux, et la Macédoine du Nord en particulier, nous semblent aboutir au statu quo ante. Ceci s’explique par une manipulation d’information réussie, en ce qu’elle a provoqué un émoi, fondée sur la méconnaissance généralisée des procédures d’élargissement de l’Union.

Premier État de la zone à obtenir le statut de candidat à l’UE, fin 2005, sa procédure d’adhésion se voit, depuis, entravée par deux de ses voisins membres de l’UE, contrairement aux autres États-candidats. La Grèce mettait son veto à l’ouverture des négociations d’adhésion, non sur le fond, mais parce qu’elle considérait comme sienne la dénomination « Macédoine ». À peine ce problème réglé en 2019, c’est la Bulgarie qui s’oppose à l’ouverture des négociations d’adhésion, considérant la Macédoine du Nord comme une partie de son territoire historique et la langue macédonienne comme une variante du bulgare. Ainsi, le candidat n’a jamais pu faire la preuve de ses avancées en matière d’État de droit ni de ses avantages économiques pour l’Union.

Le parlement bulgare a finalement voté en faveur de la levée de ce veto dans la soirée du 24 juin 2022, après que le Conseil de l’UE lui aurait assuré de garantir ses intérêts dans le cadre de l’adhésion macédonienne. Alors que l’on aurait pu s’attendre à un enthousiasme renouvelé, le lendemain, le Premier ministre macédonien, Dimitar Kovačevski, menace de refuser l’ouverture des négociations avec l’Union, sous prétexte qu’elle renierait les arguments macédoniens quant à ses spécificités historiques et linguistiques.

Hystérie généralisée 

Cette position étonnante s’explique par une hystérie généralisée, les jours précédents, dans la presse et sur les réseaux sociaux macédoniens qui se concentre sur la PFUE. Sur la base d’un document de travail du Conseil de l’UE qui a fuité, la France et la PFUE sont fustigées. Nous l’avons consulté : il s’agit d’un document de travail daté du 17 juin 2022, plus précisément un brouillon relatant les avancées macédoniennes vers l’ouverture des négociations. Comportant ratures, corrections et explicitement estampillé limited, il ne devait pas être rendu public, mais il est présenté comme donnant exclusivement raison aux Bulgares.

L’objectif de la PFUE était de préparer un protocole bilatéral entre la Bulgarie et l’UE pour arriver à la levée du veto pour enfin permettre d’ouvrir les négociations d’adhésion. Il n’était pas question de régler les désaccords bulgaro-macédoniens, puisqu’ils ne relèvent pas de la compétence de l’UE. Malheureusement, la surréaction liée à la fuite de ce brouillon a décrédibilisé les dirigeants nord-macédoniens, au point que la venue de Dimitar Kovačevski au sommet de l’UE pour les Balkans a été dénoncée comme une trahison, des élus de l’opposition appelant même à refuser de commencer à négocier l’adhésion, puisque l’UE impose à la Macédoine du Nord d’abandonner ses revendications historiques et linguistiques. Ce qui est, bien sûr, totalement faux.

Symptomatique des blocages à l’élargissement de l’UE aux États des Balkans occidentaux

Ce qui pourrait relever d’une anecdote est inquiétant et symptomatique des blocages à l’élargissement de l’UE aux États des Balkans occidentaux. En effet, cette lassitude – appelée dans le jargon eurofatigue – des forces pro-UE macédoniennes éclate maintenant dans une polémique à laquelle les euro-sceptiques de toute la zone peuvent se joindre. Le tout sous le chapeau d’un soi-disant « échec de la diplomatie française » ou de la PFUE. La belle affaire ! Tous ceux réticents à entamer les négociations d’adhésion avec l’UE pour ne pas avoir à se plier aux exigences de l’État de droit se voient rejoints par ceux qui réclament plus d’État de droit dans leur pays : l’UE leur veut du mal, la France refuse de les défendre. En effet, les explications

relatives à ce brouillon importent peu, la PFUE est présentée comme tellement mauvaise qu’elle n’a même pas réussi à garder enthousiastes les pro-UE des Balkans.

Ainsi, en cette fin de PFUE, se trouvent – unis dans l’adversité – les désillusionnés du processus d’adhésion à l’UE, les yougonostalgiques, les promoteurs d’un équivalent à l’espace Schengen nommé Open Balkans, les amateurs de la stabilocratie, le tout à grands renforts de médias pro-russes, en Serbie en particulier. La seule issue ne peut donc que se matérialiser dans un accord bulgaro-macédonien. En cela, la PFUE leur aura ouvert la voie vers la levée du veto bulgare. L’ouverture des négociations devra en revanche encore attendre. Pire encore, le scénario d’un retrait de candidature n’est pas à exclure, célébrant ainsi la victoire de la manipulation de l’information et de ceux qui s’engouffrent dans les lacunes qu’emportent la méconnaissance des institutions européennes.

 

Article du JDD, disponible sur https://www.lejdd.fr/International/pourquoi-la-france-est-designee-comme-responsable-dans-les-desaccords-entre-la-bulgarie-et-macedoine-du-nord-4120793