KRAMER CONTRE KRAMERSKY (saison 2)

Les oppositions entre la Pologne et l’Union prennent un tour de plus en plus technique avec la décision rendue par la Cour de Justice de l’UE (CJUE) le 29 mars 2022, dans l’affaire Getin Noble Blank, portant sur l’indépendance du pouvoir judiciaire en Pologne.

  • La singularité de cette affaire relève du fait, relate What’sUpEU, qu’elle constitue la première demande de réponse à une question préjudicielle, introduite par un juge nommé en application des lois controversées ayant réformé le système de nomination des juges de la Cour Suprême polonaise.
    • La CJUE a considéré que la question préjudicielle devait être déclarée recevable, même si la Cour européenne des droits de l’Homme, le 3 février 2022, a désavoué le statut de ces juges polonais.
    • D’aucuns avancent que cette jurisprudence n’a pas pu être pris en compte du fait qu’il a été rendu trop tardivement, au regard des délais de procédure prévus pour la CJUE.
  • Cet arrêt s’inscrit dans un contexte où il est urgent de défendre les principes de l’État de droit.
    • Certains observateurs regrettent que la Commission ne se presse pas d’appliquer le mécanisme de conditionnalité, voire serait en passe d’approuver le plan de relance polonais jusqu’ici principal atout dans la dispute avec Varsovie

L’enjeu est de taille selon,  le professeur polonais Tomasz Tadeusz Koncewicz : la violation des valeurs de la démocratie, de l’État de droit, et des droits de l’Homme, en tant que valeurs fondatrices de l’Union européenne, viennent remettre en cause pleinement l’UE et sa légitimité.

  • Il estime qu’aucune des précédentes crises, qu’elles soient financières ou institutionnelles avec le Brexit, ne sauraient remettre autant en cause le fondement de l’intégration européenne que cette dispute polonaise.
    • En effet, il n’est pas envisageable se cacher derrière une nouvelle étiquette de « crise de l’État de droit ».
      • La situation n’est pas un simple manque de mise en œuvre du droit communautaire selon lui, mais bien un rejet de l’autorité de la Cour de Justice de l’UE.
    • Dans  cette crise, explique-t-il l’enjeu est  « l’Union de droit » : l’UE doit définir et établir clairement des normes contraignantes pour tous en la matière.
      • L’État de droit ne doit pas seulement s’inscrire dans les systèmes juridiques nationaux, mais disposer de sa propre signification et servir « de mètre étalon ».

o   Le non-respect des principes de l’État de droit portera une atteinte directe à l’éthique de l’UE, l’Union disposerait dans ce cas d’un corps, mais non d’une âme.

  • Côté hongrois,  deux jours seulement après la nouvelle victoire de Viktor Orban aux élections législatives, la Commission européenne a annoncé, le 5 avril, l’activation contre le pays du mécanisme de conditionnalité.
    • Ce dossier est prêt depuis longtemps mais la Commission a préféré attendre les résultats pour ne pas interférer dans l’élection.
    • Il s’agit de la “ Dernière arme législative” : ce mécanisme pourrait priver la Hongrie de 40 milliards d’euros de fonds européens.
  • Fermeté avec Budapest, bienveillance avec Varsovie ? Si la réponse n’est pas encore évidente, une chose est certaine : le divorce entre les deux anciens alliés, séparés par leur attitude devant V. Poutine et l’agression russe, fait de la Hongrie un Etat membre plus isolé que jamais.
    • Deux poids deux mesures ? Si la réponse n’est pas encore tout à fait évidente, il faut bien admettre que la défense de l’Etat de droit n’est pas exempte des calculs et des timings politiques.
  • Ce dernier point était déjà bien visible avec la situation d’état d’urgence sanitaire. Ainsi, pour Le Grand Continent, la juriste Stéphanie Hennette-Vauchez revient sur la récurrence du recours aux  états d’urgence, depuis le début du 21e siècle.
    • Le contexte actuel nous montre que nous vivons différents types de guerre :
      • Une guerre physique, comme le conflit en Ukraine après l’invasion russe, ou les attentats terroristes ;
      • Une guerre métaphorique illustrée par  le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire, marquée par la déclaration d’Emmanuel Macron nous annonçant « en guerre face à un ennemi invisible » de mars 2020.
  • L’une des conséquences dangereuses de cet état d’urgence – qui semble vouloir devenir permanent – est « la corruption sémantique du vocabulaire même du politique ».
    • L’État de droit, signifie certes que l’État qui est « soumis » au droit reste maintenant à bien déterminer à quel droit et, en cas de désaccords, quel droit doit primer.
    • En pratique, il est respecté quand le raisonnement expliquant la mise en balance de deux interprétations du droit est mené par une juridiction et que le résultat, du poids plus élevé de l’un sur l’autre est expliqué.
    • Si ce raisonnement n’est pas acceptable, d’autres conséquences suivront : sanctions, exclusion des organisations internationales, dommages sur la réputation.