NIKSPUT.

Dans une conférence de presse de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a pu être annoncée l’interdiction de la diffusion des médias d’État russes Russia Today, (RT) et Sputnik, en Europe. Si ces médias sont perçus de fait comme des outils de propagande que le Kremlin utilise en vue de justifier l’invasion de l’Ukraine dans les pays européens, sources occasionnelles de faux et de désinformation, leur interdiction soulève de nombreuses questions, politiques, éthiques et légales.

  •  L’Instant M revient sur cette véritable « bataille de l’information » dans le cadre de la guerre en Ukraine, et ses conséquences sur l’opinion publique.

o   Asma Mhalla, maître de conférences à Sciences Po Paris, déclare que cette utilisation de la désinformation est une « espèce de renouveau de la guerre psychologique ou de la propagande via les réseaux sociaux et les médias mainstream. Ces manipulations servent à la déstabilisation de la population et des armées. »

  • Manipuler l’opinion publique est un élément stratégique majeur pour les belligérants et ce n’est pas une nouveauté.

  • Dans un épisode d’Antidote, Tristan Mendès-France explique que les médias de propagande russe entretiennent l’idée que la révolution de Maïdan de 2013-14 est un complot de l’étranger, que le gouvernement ukrainien est corrompu et nazi et que les soldats russes viennent délivrer leurs frères ukrainiens qui les accueilleront en libérateurs, pour ce citer que ces points.

o   Au-delà des frontières de l’UE, de nombreux journaux dans les pays des Balkans rapportent avec enthousiasme les premiers jours de la guerre en Ukraine, mettant en avant le fait que Moscou atteint Kiev en quelques jours et en qualifiant l’attaque russe comme une réponse aux menaces de l’OTAN.

o  C’est cette désinformation que souhaite limiter au plus vite l’Union européenne.

Le premier problème de cette sanction d’interdiction de diffusion est politique.

  •  Si Julien Nocetti indique que l’annonce de cette interdiction est intéressante dans la mesure où elle permet l’expression d’un consensus entre les États membres de l’UE face à l’invasion russe, il est possible que Moscou exerce des représailles contre les médias européens et les journalistes en Russie, comme nous l’informe Politico.

o   Ce scénario connaît déjà un précédent. En effet, le 2 février dernier, l’Allemagne avait déjà interdit la diffusion de la chaîne russe RT, en allemand.

  • Si les raisons portaient sur le fait que l’autorisation nécessaire selon les droits des médias n’avait été ni demandée, ni accordée, c’est également parce que Berlin estime que ce média constitue un outil de propagande du Kremlin à l’étranger.

o   Dès le lendemain, la Russie a interdit la diffusion du média allemand Deutsche Welle, ordonné la fermeture de son bureau dans la capitale, et demandé le retrait des accréditations des journalistes de la chaîne.

Le deuxième problème est juridique.

  • Selon une personne proche du dossier, le blocage de ces médias dans les États membres « passera probablement par la même base juridique que les autres sanctions européennes » à l’encontre de la Russie.

Politico rappelle en effet que cette décision est risquée, d’un point de vue pratique et légal car la réglementation des médias est basée sur le principe d’indépendance et de liberté d’expression.

  • Rappelons toutefois qu’un principe en est un parce qu’il peut se voir opposer des exceptions.

o   Ainsi, Eric Mamer, porte-parole en chef de la Commission, a indiqué le 28 février que « ces deux médias font partie de l’effort de guerre russe en Ukraine, en étant entièrement contrôlés par l’État russe. Nous ne prenons donc pas une mesure contre un média, mais contre un canal de propagande ».

  • Quant à la base légale européenne, la mesure est effective depuis le mercredi 2 mars, la Commission européenne s’appuie sur le règlement du Conseil de mars 2014 « concernant les mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ».
    • Dans ce cadre, la Commission européenne charge les autorités nationales de régulation des médias de prendre les dispositions nécessaires pour arrêter la diffusion de ces chaînes sur leurs canaux.

Le troisième problème est un dilemme éthique que peuvent utiliser à leur profit les médias concernés.

  • Ainsi, Xenia Federova, présidente et directrice de RT France, a immédiatement réagi.

o   « La décision de bannir notre chaîne (…) est une violation de l’État de droit et va à l’encontre de la liberté d’expression ».

  • Pourtant, certains réseaux ont déjà suspendu les comptes de RT France et de Sputnik, à l’instar de TikTok, Youtube, Facebook et Microsoft.
    • Cette suspension directe en dehors du droit pénal – qui justifie les exceptions au principe de liberté – rappelle le malaise causé par le twitter ban unilatéralement appliqué à Donald Trump au lendemain de l’insurrection ratée du 6 janvier.
    • Peut-on garantir la liberté d’expression de nos adversaires politiques, même en temps de conflit ouvert ? La question reste en suspens.