Dans un article pour la revue Esprit, Jean-Yves Potel, écrivain, universitaire spécialiste de la Pologne, ajoute un nouvel élément d’analyse à la crise humanitaire à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne.
- Dans la ligne de nos remarques (EIH 09/12/21, 25/11/21, 18/11/21, 11/11/21 et 07/10/21), il écrit que les migrants sont “victimes d’une double manipulation : de la part d’Alexandre Loukachenko, qui a monté une crise migratoire afin de faire pression sur l’Union européenne ; et de celle du PiS, qui s’érige en défenseur de l’intégrité européenne tout en refoulant brutalement les réfugiés.”
- Il explique que le Premier ministre polonais pense ressouder sa nation alors que des manifestations à propos de l’État de droit et de l’IVG ont lieu dans le pays.
- En se positionnant comme “défenseur de l’Europe”, il espère faire oublier les atteintes à l’État de droit.
Toutefois, le PiS n’a rien gagné avec cette crise, souligne Jean-Yves Potel :
- Sur le plan intérieur, “il est à craindre pour lui que la société polonaise n’ait pas souscrit au discours de Morawiecki sur la guerre hybride imminente. L’opposition en a plutôt profité. Elle est demeurée prudente et s’est rangée sur la ligne européenne.”
- Quant au plan extérieur, il a “subi quelques désagréments diplomatiques, comme les négociations menées par Merkel et Macron par-dessus sa tête, sans qu’il ne soit associé.”
- Enfin, Jean-Yves Potel conclut que l’UE est complice du désordre humanitaire de par ses silences.
- Selon lui, l’absence d’une politique commune en matière migratoire, la paralyse et la divise, et “au bout du compte, ce sont les migrants qui paient l’addition.”
La question migratoire reste une vulnérabilité constante pour la crédibilité internationale de l’UE et de son discours sur la “communauté des valeurs”. Sur ce point, le chercheur et maître de conférences Martin Deleixhe est tout aussi critique.
- Selon lui, l’accord passé avec la Turquie en 2016 revenait à payer “son voisin pour qu’il s’occupe de la délicate question des réfugiés à sa place.
- « Le 3 mai 2021, Ursula von der Leyen faisait pourtant une leçon de morale à la Turquie, en déclamant : « des populations ne peuvent être employées comme de simples moyens pour atteindre un but. »
- M. Deleixhe traite alors la politique d’asile européenne d’ “hypocrisie organisée” (expression reprise d’un article de Sandra Lavenex) tellement le décalage entre le discours normatif et l’action politique de l’UE est visible et profond.
- Il explique qu’en matière d’asile, l’Union n’a jamais été à la hauteur de ses ambitions.
- “Son action est dictée par des configurations politiques complexes et fluctuantes, plus que par des valeurs univoques et intangibles.”
- En dépit d’un consensus politique entre États membres en accord avec les valeurs de l’UE, celle-ci s’est tournée depuis les années 1990 vers ce que l’auteur appelle “une politique d’externalisation de sa politique migratoire”.
- En d’autres termes, l’UE convainc ses voisins de retenir les candidats à l’immigration, notamment en conditionnant l’octroi de fonds d’aide au développement à un engagement de fermeté migratoire.
- Dit brutalement, “pour pouvoir prétendre à une forme d’innocence, l’Union européenne délègue le sale travail à d’autres.”
On pourrait s’attendre à ce que cette politique migratoire s’avère différente lorsqu’il s’agit d’élites, puisque les images largement diffusées exposent des migrants supposément d’origine modeste.
- Pourtant selon l’Encyclopédie d’Histoire Numérique de l’Europe (EHNE), “les pays d’accueil sont loin de toujours leur dérouler le tapis rouge, et les logiques d’exclusion – des opposants politiques, des minorités – l’emportent souvent sur la recherche de l’attractivité.”