KRAMER CONTRE KRAMERSKY (reloaded)

La controverse sur l’ordre juridique européen se poursuit consécutivement à la décision K.3/21 du tribunal polonais devient un sujet d’experts.

  • Selon Piotr Buras, journaliste et expert en politique européenne, cette décision est une tentative de présenter une prise de pouvoir autocratique comme une défense de la constitution démocratique.
  • Il est du même avis que le Président de la CJUE, Koen Lenaerts, pour dire que la défiance polonaise sur la primauté du droit européen n’a rien à voir avec la souveraineté nationale ou les droits des citoyens, elle est utilisée pour se soustraire à la règle  de  droit  et rejeter certaines valeurs fondamentales de l’Union.
  • Piotr Buras ajoute que l’essence du problème polonais n’est pas un différend sur la délimitation des compétences nationales et européennes mais qu’il s’agit de savoir si nous considérons l’UE comme un bloc différent d’une communauté de démocraties.
  • Sébastien Platon, professeur de droit public, confirme ce propos. Il explique que, même s’il existe depuis longtemps une tension entre deux principes contradictoires (la Constitution étant la norme suprême dans l’ordre interne des États, le droit de l’UE prévalant sur toute norme nationale dans l’ordre juridique de l’Union européenne), la compétence de l’UE sur la question polonaise ne fait pas de doute.

L’éditorialiste du Financial Times, Gideon Rachman, élargit le point de vue. Il précise que la suprématie de l’UE est de plus  en plus  remise  en cause au niveau européen.

  • Selon lui, cela est dû au fait que l’UE a étendu ses pouvoirs à des aires politiques qui étaient le propre des États-nations telles que les frontières, le budget, la devise ou bien les droits civiques.
  • Ces vingt dernières années, l’Europe semble empêtrée dans un débat sur le meilleur emplacement de la souveraineté et du pouvoir : Bruxelles ou les États-nations ? Le Brexit étant considéré comme un échec, les États membres ne cherchent pas à quitter l’Union mais la question apparaît sous d’autres formes, comme par exemple avec le rejet de la Cour constitutionnelle allemande de l’autorité d’un arrêt de la CJUE en 2020, la primauté d’une obligation tirée de la Constitution française sur une règle de droit de l’Union européenne par le Conseil d’État français, ou bien la décision K3/21 du tribunal constitutionnel polonais.
  • Sébastien Platon fait toutefois remarquer, tout comme le professeur de droit européen Daniel Sarmiento (voir EIH 14/10), que cette dernière est différente des deux autres exemples car elle rejette un pan entier de la jurisprudence de la CJUE – jurisprudence qui plus est d’importance constitutionnelle car portant sur les valeurs de l’Union – et non pas un arrêt spécifique de la CJUE ou bien une décision spécifique d’une institution de l’Union européenne.
  • M. Rachman conclut : auparavant les luttes de pouvoir entre Bruxelles et les États membres étaient généralement résolues en faveur de Bruxelles, elles pourraient à présent être  résolues  en  faveur des États.

Un récent arrêt de la CJUE nuance cependant cette conclusion, puisque les juges de Luxembourg contredisent la Cour suprême hongroise qui remet en cause la primauté du droit européen.

  • En effet, elle avait déclaré illégale la possibilité pour un juge de demander à la CJUE de se pencher sur la mise en œuvre de directives européennes sur les procédures pénales et le droit à la défense.
    • La Cour estime qu’une « telle procédure est susceptible de dissuader l’ensemble des juridictions nationales d’introduire des renvois préjudiciels, ce qui pourrait compromettre l’application uniforme du droit de l’Union ».
  • Ainsi, pour les magistrats européens, il n’est pas possible qu’un juge puisse être sanctionné pour avoir demandé l’avis de la CJUE, ni que les juges constitutionnels puissent juger de la légalité d’une question préjudicielle introduite par un magistrat du pays sur des questions de droit européen.