POLSTOÏ

Larvée depuis le traité de Maastricht et maintenant pleinement ouverte consécutivement aux décisions de la cour constitutionnelle de Karlsruhe (cf. EIH du 30/09 et du 09/09), la querelle pour la suprématie  entre  droit national et droit européen a marqué une nouvelle escalade avec l’arrêt tant attendu du Tribunal Constitutionnel (TK) polonais, sur fond de confrontation ouverte entre l’ordre institutionnel européen et le gouvernement nationaliste conservateur au pouvoir à Varsovie.

  • Le TK juge les lois de l’Union européenne incompatibles avec la constitution polonaise et précise que la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) “viole le principe d’État de droit” ainsi que la souveraineté de la Pologne. Réputée proche du pouvoir et nommée à ce poste par ses soins, la présidente de la Cour constitutionnelle, Julia Przylebska, a aussi ajouté que les institutions de l’UE « agissent au-delà du champ de leurs compétences ».
  • Les articles du Traité sur l’Union européenne visés par le juge constitutionnel polonais sont les suivants :
    • l’article 1e qui instaure la création de l’UE et d’une union “sans cesse plus étroite”, lu en conjonction avec l’article 4§3 sur l’obligation de coopération loyale des Etats membres avec le projet européen ;
    • l’article 19§1 qui prévoit le “monopole d’interprétation du droit de l’Union par la CJUE”.
  • déclencher un nouveau mécanisme qui lie le financement de l’UE aux critères de l’État de droit ;
  • continuer à retarder l’approbation du plan de la Pologne pour le financement de la relance de l’UE en cas de pandémie ;
  • et lancer des poursuites judiciaires contre la Pologne.

Les conséquences de cet arrêt au niveau polonais sont paradoxales.

  • D’une part, l’arrêt laisse le pays au bord d’un « Polexit » juridique : un État membre qui refuse la primauté et – surtout – refuse d’appliquer les traités ne peut participer à un projet fondé sur la coopération loyale, l’entraide et l’État de droit.
  • D’autre part, la force même du droit communautaire réduit la force juridique de l’arrêt de la Haute Cour. Dès 1978, la CJUE a déclaré qu’en cas de conflit entre le droit communautaire et une règle interne, la règle interne devenait immédiatement inapplicable – c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire qu’une juridiction nationale la déclare inapplicable.
  • En bref, la “Surligneuse” Tania Racho indique que la décision du tribunal constitutionnel polonais ne met pas Varsovie « sur le  chemin d’une sortie  de  l’UE ». Jaroslaw Kaczynski, le chef du PiS lui-même, déclare : “Il n’y aura pas de Polexit”. Et le quotidien El Pais explique.
    • La première raison est la dépendance économique du pays à l’Union. La Pologne est le pays qui bénéficie le plus des fonds européens.
    • Deuxièmement, la population polonaise est majoritairement pro- européenne. Selon le dernier Eurobaromètre, les Polonais font par exemple davantage confiance à l’UE qu’à leur propre gouvernement (49 % contre 37 %). Depuis la semaine dernière des milliers de manifestants se réunissent dans les rues polonaises pour “rester en Europe”.
    • Enfin, des raisons électorales poussent le gouvernement à ne pas sortir de l’UE : un gouvernement qui, deux ans avant les législatives, empêcherait près de 40 milliards d’euros d’affluer dans le pays aurait bien du mal à valider de nouveau sa majorité en 2023.

Les conséquences au niveau européen et mondial sont, elles, plus dérangeantes étant donné que l’arrêt ouvre le  débat sur  la protection des valeurs propres à l’Union européenne.

  • Ici, le professeur de droit européen Daniel Sarmiento précise que c’est la première fois qu’une juridiction nationale méconnaît un arrêt de la CJUE à propos de ce qu’elle est (les traités) et non pas à propos de ce qu’elle fait (décisions de politique économique).
  • Après le Brexit, le risque est que la Pologne ait mis  le  doigt sur une brèche dans le fonctionnement de l’UE dont d’autres représentants politiques peuvent s’engouffrer. 
    • Se saisissant de cette opportunité, les candidats et potentiels candidats à l’élection présidentielle française – en prenant bien soin de ne rien expliquer et de ne pas du tout s’assurer de la cohérence de leurs propos au regard de leurs fonctions – s’assurent un peu de visibilité médiatique avec leur coming out anti CJUE.
    • Ce que Jean Quatremer, dans Libération, décrit comme un “bal des faux-culs souverainistes.
  • Affichant encore un peu plus de dissonances au sein de l’Union, cette opportunité de visibilité n’amènerait qu’à affaiblir la position de l’Union sur le plan international, dans un contexte où elle cherche justement à s’affirmer entre les États-Unis et la Chine .