Contrairement à ce que semble penser Fiona Scott Morton, ce ne sont pas des “fragilités françaises” comme l’explique Politico et comme elle s’en épanche dans la presse anglosaxonne qui ont conduit à son éviction du poste très stratégique d’économiste en chef de la DG concurrence en juillet dernier. Il s’agit bien de stratégie industrielle européenne – en particulier sur les Big Tech – que sa nomination aurait pu considérablement affaiblir tant les possibilités de conflits d’intérêts étaient rendues évidentes par son parcours.
- Depuis les vulnérabilités dans ses chaines de valeurs mondialisées mises à nu par le Covid puis la guerre en Ukraine, l’Europe est à la recherche d’une stratégie industrielle.
- Si le Green deal et la transition numérique sont systématiquement célébrées comme les nouveaux leviers d’un modèle industriel à réinventer, deux écueils surgissent à l’horizon.
- Le premier est la résistance des vieux modèles, mercantilistes, productivistes, centrés sur l’industrie lourde et les exportations – en deux mots, le “modèle allemand”.
- Entre temps, les véhicules électriques atteignent le seuil critique de 5% dans plus de 23 pays, d’après les comptes de l’agence Bloomberg. Sachant le retard de ses constructeurs et la domination de la Chine sur ce segment du marché, le futur de la voiture se prononce de moins en moins en allemand.
- Dans ses contributions publiques, l’éditorialiste Wolfgang Munchau revient régulièrement sur ces résistances et leurs conséquences.
- C’est le cas en particulier de l’abandon par l’entreprise Bosch de la fabrication des Lidar, ces capteurs de détection et de télémétrie par la lumière qui permettent d’équiper les voitures.
- Ceci est dû aux retards des constructeurs allemands sur les technologies des véhicules autonomes.
- D’après Adam Tooze, il y a un autre risque plus pernicieux encore. Dans une longue pièce de doctrine pour le Grand Continent, l’économiste revient sur un paradoxe :
- “le moment où la question de la politique climatique a fait surface sur le devant de la scène politique mondiale était précisément le moment où le néolibéralisme et la révolution du marché ont pris le contrôle de l’agenda politique.”
- Autrement dit, les patterns du vieux modèle appliqués aux nouveaux champs.
- Il rappelle que les Européens ont longtemps fait de la politique industrielle comme Monsieur Jourdain faisait de la prose : sans s’en apercevoir.
- Que ce soient Airbus, les trains à grande vitesse ou les choix énergétiques gaziers, ce sont des politiques industrielles à part entière – et en leur temps, plutôt réussies, de surcroît.
- L’Europe a besoin de nouvelles politiques industrielles et pour cela, elle a besoin de penser son industrie, insiste A. Tooze.
- Dans un climat de rivalités géopolitiques accrues et d’urgence climatique absolue, l’Europe joue son avenir sur cette question.