Rares sont les événements qui sont réellement scrutés aux quatre coins du globe, même parmi ceux qui auront un impact décisif pour les décennies à venir. Du fait du nombre important de ses partenaires, concurrents et adversaires, l’homme d’affaires russe Evgueni Prigozhin, connu pour être derrière la société militaire privée Wagner, les fermes à troll du projet Lakhta telles que ce qui était connu il y a quelques années comme l’Internet Research Agency et l’empire médiatique Mediaptriot, a attiré sur lui une telle attention lors de sa « marche pour la justice » en direction de Moscou ce 24 juin 2023. Bien que de nombreuses zones d’ombre demeurent, un mois plus tard, on en sait aujourd’hui davantage sur cet incident qui a pris de court de nombreux observateurs.
- Le 23 juin, à 11h, heure de Moscou, une vidéo inattendue est publiée par l’homme d’affaires : il y accuse l’administration de Vladimir Poutine, particulièrement le ministère de la Défense, ainsi que le FSB d’avoir créé un prétexte pour attaquer l’Ukraine en 2014 et annexer la Crimée.
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- Après des années de dénégation, il admet ainsi que c’est la Russie qui a porté le premier coup, et que c’est bien elle qui est responsable des huit années de conflit larvé.
- Selon lui, le conflit avait en réalité quatre objectifs :
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- permettre l’ascension du ministre de la Défense Sergueï Shoïgu parmi les élites ;
- enrichir certains oligarques ;
- faire accéder l’ami de Vladimir Poutine Viktor Medvedchuk à la présidence ukrainienne pour faciliter cet enrichissement et « punir les Américains et le régime de Zelensky ».
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- Plus tard dans la journée, E. Prigozhin appelle en outre à ouvrir une enquête sur Shoïgu et le chef d’état-major des armées Valery Guerassimov pour leur responsabilité dans « la mort de dizaine de milliers de Russes et la cession de territoire à l’ennemi ».
- L’élément présenté comme le déclencheur de la mutinerie est une vidéo, probablement mise en scène, d’une frappe de missiles de l’armée russe contre un camp de Wagner.
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- Les événements s’enchaînent alors très vite :
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- E. Prigozhin annonce que Wagner va tenter de capturer Shoïgu et Guerassimov, tandis qu’une enquête criminelle est ouverte contre l’homme d’affaires par le FSB et que la Garde nationale est déployée.
- Pendant ce temps, alors que les réseaux sociaux s’affolent, les médias restent en état de stupéfaction.
- Sur Pervy Kanal, la chaîne la plus regardée de Russie, ce n’est que tard dans la nuit qu’un communiqué ne faisant que reprendre les informations déjà disponibles en ligne est diffusé.
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- Au matin du 24, la ville de Rostov-sur-le-Don est prise par les forces de Wagner sans un coup de feu, et malgré des déclarations de plusieurs officiels dès le matin, y compris de Vladimir Poutine lui-même, de réelles initiatives contre les structures de E. Prigozhin comme le blocage des médias de son groupe Mediapatriot sur internet ou le retrait des panneaux publicitaires pour le recrutement au sein de Wagner ne sont entreprises que dans la journée.
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- La « marche pour la Justice » vers Moscou a alors déjà bien avancé, et personne ne semble décidé à arrêter Wagner.
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- Ou presque, car il faut rappeler que des accrochages avec l’armée ont bien eu lieu.
- Selon les investigations menées après l’incident, le bilan s’élèverait à au moins 13 militaires tués et entre 1 et 6 hélicoptères ainsi qu’un avion de transport de classe Il-22 abattus.
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- Selon les déclarations ultérieures de l’homme d’affaires, la mutinerie était destinée à faire pression pour empêcher la dissolution de Wagner, prétendument prévue pour le 1er juillet 2023.
- Cette version qui n’est pas improbable : le conflit avec le ministère de la Défense dure au moins depuis 2017, lorsque Shoïgu a attribué à l’armée russe la libération de Palmyre (Syrie), que E. Prigozhin estime être une victoire de Wagner.
- Les relations n’ont eu de cesse de se dégrader depuis, avec notamment une baisse drastique des dotations.
- Qui a suivi le conflit en Ukraine se rappellera que le manque de munitions pour Wagner est justement un reproche formulé par E. Prigozhin lors de la bataille de Bakhmut, reproche qui s’est mué en accusation de tentative délibérée du ministère de faire éradiquer Wagner sur le terrain.
- Cette version qui n’est pas improbable : le conflit avec le ministère de la Défense dure au moins depuis 2017, lorsque Shoïgu a attribué à l’armée russe la libération de Palmyre (Syrie), que E. Prigozhin estime être une victoire de Wagner.
- Cependant, les choses ne se sont manifestement pas passées comme prévu.
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- Selon les informations actuellement disponibles, E. Prigozhin aurait tenté de joindre V. Poutine pendant la journée du 24, sans succès, et l’intervention d’Alexandre Loukachenko n’aurait été qu’un pis-aller.
- Les conséquences sont nombreuses, puisque le groupe Mediapatriot a été dissout, et qu’une certaine incertitude règne quant au devenir exact des autres activités de ses structures, notamment en Afrique.
- Pour autant, il semble que les activités de E. Prigozhin soient appelées se prolonger : les combattants de Wagner sont aujourd’hui bel et bien en Biélorussie et y entraînent déjà l’armée, et il semble qu’un retrait complet des structures liées à l’homme d’affaires du continent ne soit pas à l’ordre du jour.
- Selon les informations actuellement disponibles, E. Prigozhin aurait tenté de joindre V. Poutine pendant la journée du 24, sans succès, et l’intervention d’Alexandre Loukachenko n’aurait été qu’un pis-aller.
- S’il n’est pas à exclure que leur poids diminue dans l’influence qu’exerce la Russie à l’international, l’État russe paraît continuer à le considérer comme un acteur utile pour la défense de ses intérêts.