Culture stratégique européenne. A la recherche d’un récit mobilisateur. Panel 3. A la recherche d’un récit en matière d’éducation.

III. A la recherche d’un récit en matière d’éducation.

Avec ce troisième panel notre Journée d’études envisage la dimension humaine de la pensée stratégique, aux aspects à la fois individuels et collectifs de notre vision du monde. Edouard Gaudot revient sur le fait que l’Europe n’est pas une abstraction qui se construit sur le seul plan du droit. Elle se forge dans l’expérience de l’autre, l’échange et le déplacement du regard. Une « défense européenne » ne se décrète pas par la création d’états-majors européens ou de corps militaires intégrés sur le papier. Elle commence par une culture stratégique commune. C’est-à-dire une perception et analyse partagée de l’environnement stratégique, des menaces et des amitiés, des moyens et de leur usage.

Mais comment faire émerger cette vision commune ?

 

Dans son propos liminaire, le professeur Frédéric Charillon revient sur la dimension culturelle de l’influence et des récits mobilisateurs. Il rappelle aussi que la puissance d’un Etat ou de l’Union européenne repose aussi sur la capacité à projeter un modèle séduisant de société.

Toutefois pour l’Union, actuellement, cette dimension de la stratégie suppose plusieurs conditions qui ne sont pas vraiment remplies.

La première c’est d’accepter cette règle du jeu d’influence et de concurrence entre modèles. Ce que les Etats-Unis assument parfaitement à travers l’affirmation de leur American way of life, l’Europe peine encore à le développer sereinement, et à en trouver le ton juste. Ce qui amène à la seconde : mettre les moyens sur la table. Les ressources financières et humaines manquent cruellement à cet effet.

On en sent les conséquences sur un théâtre d’opération concret comme celui de la Macédoine du Nord et des Balkans occidentaux. C’est ce qu’illustre par son propos la professeure Katerina Kolozova. Elle revient sur le sentiment d’abandon des populations locales auxquelles la promesse européenne n’est jamais à la mesure des efforts qu’elles font. Le sentiment de leur appartenance à la communauté européenne est battu en brèche par la frustration d’une adhésion à l’UE dont l’horizon s’éloigne à chaque pas. Il est surtout concurrencé par des récits alternatifs très mobilisateurs comme celui de l’appartenance à une sphère culturelle russe-orthodoxe.

Là encore, rappelle-t-elle, il faut investir. Non seulement dans les infrastructures et la sécurité, mais aussi dans la solidarité, dans l’éducation contre la désinformation, dans la réflexion culturelle sur les frontières de l’Europe.

C’est une question à la fois de méthodologie et de travail de mémoire, conclut à son tour le général Renaud Ancelin. Appuyant son propos sur l’expérience de son livre interactif sur la mémoire de la première guerre mondiale, il rappelle d’abord quelques évidences importantes sur l’articulation entre histoire et mémoire dans le récit national.

L’éducation à la vérité historique doit nous permettre de lutter contre l’impressionnisme émotionnel qui nourrit les discours identitaires et les réflexes de confrontation que peut provoquer la désinformation. L’éducation du public est un puissant levier pour lutter contre les influences extérieures et renforcer la résilience d’une communauté contre les tentatives de déstabilisation qu’elle pourrait subir.

La discussion ensuite a permis d’apporter trois éléments de conclusion générale.

Le premier est celui de l’enjeu majeur que représente la jeunesse. En écho à la discussion du matin, la sensibilité des plus jeunes aux canaux des influenceurs, leur appétit pour le débat contradictoire et leur capacité d’adhésion à des récits mobilisateurs enthousiasmants en font une cible privilégiée pour les stratégies d’influence et de contre- influence.

Le deuxième est la nécessité de bien soigner la crédibilité des émetteurs de message. En particulier quand il en va de valeurs et de modèles. Et celle des canaux.

Le troisième enfin est d’explorer au niveau européen un programme de développement des influences qui combinerait les bonnes pratiques et les atouts nationaux. Une sorte de modèle conquérant où se mêleraient l’efficacité des fondations politiques allemandes, la force de frappe intellectuelle des think tanks américains, le sérieux et l’audience des chaînes d’information britannique, les programmes d’aide au développement japonais ou coréens et l’articulation entre université et influence des instituts français à l’étranger.

Dans tous les cas que ce soit pour rendre crédible la chaîne Euronews, ou pour mettre en place ce réseau d’« instituts européens », il faudra mettre la main à la poche. La stratégie d’influence européenne passera par des budgets à la hauteur.