La ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, se rend en Géorgie le 28 avril. Face à un gouvernement lié à la Russie, elle devra répondre au sentiment pro occidental d’une population qui espère intégrer l’UE analyse un collectif d’experts en droit et en science politique.
La visite de quelques heures en Géorgie qu’effectuera notre ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, le 28 avril 2023 pourrait être bien plus significative que sa durée. Si sur le plan protocolaire ce voyage ne diffère pas d’un autre, le contexte politique géorgien actuel lui confère une tournure particulière et accroît l’attente légitime du peuple à l’égard de l’Union européenne (UE).
En mars, des milliers de Géorgiens attachés à leur indépendance et aux valeurs démocratiques ont réussi un exploit
: contraindre leur gouvernement au retrait temporaire de son projet de loi relatif à la transparence de l’influence étrangère. Cette législation scélérate, inspirée de celles en vigueur en Russie et en Hongrie, devait imposer à toute association et à tout média de s’enregistrer en tant qu’«agent de l’étranger» si au moins 20 % de son budget provenait de l’étranger. Le but des dirigeants géorgiens, de facto liés à la Russie, était de réduire les financements occidentaux de la société civile, et subséquemment de tenter d’éteindre le sentiment pro-occidental au sein de la population.
Face aux canons à eau de la police
Ce soulèvement populaire a eu lieu sous l’égide de deux drapeaux : celui de la Géorgie et celui de l’UE. Car en plus de la défense de leur liberté, les Géorgiens ont exprimé avec vigueur leur volonté de rejoindre cette grande communauté politique. Au point qu’on vit une femme brandissant l’étendard d’azur aux douze étoiles d’or comme un bouclier face aux canons à eau de la police.
Leur message, pourtant maintes fois répété, prend une autre tournure depuis la guerre russe en Ukraine. Les Géorgiens veulent faire partie de l’UE par adhésion aux valeurs, mars aussi par protection face à la Russie. Autrement dit, leur survie comme Etat et comme nation dépend de leur adhésion à l’UE. Sans cela, ils craignent de disparaitre sous le feu ou le contrôle de la Russie.
Cette anxiété est tout sauf un fantasme. Annexée par l’Empire russe en 1801, la Géorgie n’a obtenu son indépendance qu’à la faveur de la déliquescence du pouvoir tsariste en 1918, puis de l’Union soviétique en 1991. Abandonnée par les puissances européennes, France et Royaume-Uni en tête, la première république de Géorgie a été envahie, puis annexée par la Russie soviétique en 1921, en violation de leur traité de reconnaissance mutuelle signé l’année précédente. En 1992, la nouvelle Fédération de Russie a piloté les séparatismes abkhaze et sud-ossète, privant jusqu’à ce jour la seconde république de Géorgie de 20 %de son territoire internationalement reconnu. Elle a aussi mené une guerre en 2008 contre le gouvemement géogien qui lui était hostile.
Des valeurs européennes en partage
Les Géorgiens, depuis leur première indépendance, ont toujours eu nos valeurs européennes en partage. Ainsi, la première constitution géorgienne, adoptée en 1921 peu avant que le pays ne soit rayé de la carte, était avantgardiste. Elle abolissait la peine de mort 60 ans avant la France. Elle accordait te droit de vote aux Géorgiennes, quand les Françaises ont dû attendre 1944. Elle créait une initiative populaire législative, qui n’existe toujours pas chez nous. A l’exemple de la France, elle adopta la laïcité dans l’enseignement. A ce titre, les Européens ont depuis un siècle une dette civilisationnelle à1eur égard.
En dépit d’une longue attente, les citoyens géorgiens soutiennent toujours l’UE et l’adhésion de leur pays à 81%, selon un sondage effectué en décembre 2022 pour 1e National Democratic 1nstitute et le Caucasus Research Resource Center. Quel pays européen peut se targuer d’un tel enthousiasme ? L’UE ne peut tergiverser davantage. La France non plus.
L’héritage historique et la conjoncture politique demandent que Catherine Colonna livre un message européen au peuple géorgien, et non uniquement à des gouvernants auxquels l’UE a provisoirement refusé, en juin 2022, le statut d’Etat candidat à l’adhésion en raison d’insuffisances démocratiques. Depuis les Lumières et la Révolution française, notre pays a coutume de s’adresser davantage aux peuples qu’aux Etats. Au surplus, la France a l’habitude de se poser comme la voix de l’Europe. Le devoir de notre ministre est d’ouvrir les bras au peuple géorgien, de lui donner une perspective, de lui montrer que descendre dans la rue pour défendre la liberté et l’Europe contre son propre gouvernement a aussi un sens pour nous. Rester muet serait ,a contrario, manquer à notre mission.
Tribune publiée dans Libération le 26 avril 2023
Signataires : Julien Arnoult Docteur en science politique, expert auprès de la Commission européenne ; Élise Bernard : Docteur en droit public, cofondatrice d’ Europe lnfo Hebdo ; Olivia Dejean-Gulllon : Juge-assesseur du HCR à la CNDA ; François Frison-Roche : Docteur en science politique ; André Gattolln Sénateur, vice-président de la Commission des affaires européennes ; Édouard Gaudot : Essayiste, cofondateur du Creen European Journal ; Gilles Rouet : Professeur des universités, Chaire Jean Monnet ad personam.