Célébrant cette annexion comme une victoire, le président russe a prononcé un long et important discours traduit ici par Le Grand Continent. Annonçant “la fin de l’hégémonie occidentale” selon l’éditorialiste Konstantin Kisin, mesiannique et antioccidental” selon LeMonde, ce discours dévoile avec une nouvelle précision la vision du monde de Vladimir Poutine et ses objectifs révisionnistes de l’ordre international. Surtout, dans sa rhétorique, dans sa substance et dans sa forme, il s’inscrit dans la plus pure tradition des discours des fascismes historiques.
- Ses déclarations ramènent sur l’Europe le spectre de la guerre nucléaire, oublié depuis la chute du mur de Berlin.
- La Russie se réserve le droit d’utiliser des armes nucléaires “si nécessaire », répète ainsi l’ex-président et numéro deux du Conseil de sécurité russe Dmitri Medvedev, soutenu par le porte-parole du Kremlin. (V. EIH )
- Sensible à la rhétorique employée par Poutine, Wolfgang Münchau considère que la probabilité d’une attaque nucléaire doit être prise au sérieux car elle augmentera en fonction de la probabilité de la défaite de la Russie.
- Une lecture inquiétante de plus en plus répandue, posant évidemment immédiatement la question de la réaction américaine.
- Curieusement, la France et sa doctrine de dissuasion, reste absente des débats.
- En légitimant l’annexion des régions ukrainiennes par la Charte des Nations Unies et le principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples, V. Poutine emprunte sciemment aux grands moments historiques de l’irrédentisme dont la logique avait précipité les revendications de l’Allemagne hitlérienne – une logique qui faisait déjà son grand retour, selon cette note de 2020 de l’institut Rousseau.
- » Les habitants de Lougansk et de Donetsk, de Kherson et Zaporojie, sont devenus nos concitoyens, à jamais. «
- Poutine dénonce l’imposition de » diktats » occidentaux et célèbre la renaissance de la Russie contre les tentatives occidentales de la détruire.
- Il fait plusieurs références aux Etats-Unis confondus avec “l’Occident” comme une puissance néocoloniale.
- Le discours dénonce aussi la “fiction de l’État de droit” et proclame que la Russie ne devrait pas se plier à ce simulacre de droit manipulateur, soulignant l’exceptionnalité de de la Russie en tant que « pays-civilisation » – face à un Occident duplice, supposé libérateur et démocratique dont l’expansion unipolaire serait au contraire oppressive et antidémocratique.
- » Nous sommes fiers qu’au XXème siècle, ce soit précisément notre pays qui ait pris la tête du mouvement anticolonial « .
- La Russie se présente comme le phare de la libération du monde de l’emprise occidentale – qui est d’abord celle des États Unis.
- D’ailleurs, l’Europe est une victime de cet impérialisme, puisque sa stratégie d’indépendance à l’égard des sources d’énergie russes est un asservissement aux États-Unis qui conduira à terme à la désindustrialisation du continent.
- Il inscrit la notion de néocolonialisme occidental dans la notion plus large de dégénérescence de l’occident, accusé d’intentions sataniques, avec des accents qui rappellent les discours de D. Trump.
- « Ils crachent sur le droit naturel de milliards de personnes, la majeure partie de l’humanité, à la liberté et à la justice, ainsi qu’à la détermination de leur propre destinée. Ils en viennent maintenant à nier l’ensemble des normes morales, de la religion et de la famille. «
- V. Poutine anticipe que les sanctions actuelles contre la Russie, et dans une certaine mesure contre la Chine et l’Iran, ne soient que le prélude à des sanctions futures imposées par les États-Unis au monde entier.
- L’Occident est asservi par sa propre propagande, comparable à Goebbels. Un renversement intéressant si l’on tient compte des campagnes désinformations russes, particulièrement en Pologne.
- Selon lui, » l’effondrement de l’hégémonie occidentale est en cours. Il est irréversible. Je le répète : les choses ne seront plus comme avant. «
Cependant, le ton de ce discours contraste avec une opinion publique et des alliés de plus en plus sceptiques face à l’évolution de l’attitude russe :
- La tentative de légitimer l’annexion par un discours sur l’égalité et l’invocation de la Charte des Nations Unies tombe à plat si l’on considère que l’ONU a cherché à condamner l’annexion mais a été bloquée par le veto russe.
- Les appels aux alliés sont intéressants étant donné que les alliés actifs ou les non-alignés n’ont pas encore reconnu l’annexion des provinces ukrainiennes – et le « monde multipolaire » commence à ressembler à un nouvel alignement de soumission potentielle à la Russie.
- Présenter l’Occident vise à justifier les inconvénients de la guerre ressentis par les Russes, comme on le voit avec la reprise de Lyman dans l’annexe de Donetsk par les forces de Kiev
- Le Monde affirme que l’enthousiasme suscité par l’annonce de la capture du Donbass le 18 mars 2014 n’a pas été ravivé par les efforts actuels de l’opinion publique russe – le porte-parole du Kremlin a même été incapable de délimiter clairement les frontières des territoires annexés.
- Les sondages sur la perception du succès des opérations militaires russes, selon l’institut Levada, sont passés de 73% en mai à 53% aujourd’hui.
- Le Monde affirme que l’enthousiasme suscité par l’annonce de la capture du Donbass le 18 mars 2014 n’a pas été ravivé par les efforts actuels de l’opinion publique russe – le porte-parole du Kremlin a même été incapable de délimiter clairement les frontières des territoires annexés.
- Pour conclure, Peter Pomerantsev, pour le Guardian, examine comment la rhétorique de V. Poutine n’a pas réussi à galvaniser le peuple russe.
- La centralisation des efforts de la Russie en Ukraine exige plus que tout l’élimination de la dissidence contre le Kremlin plutôt qu’un soutien actif.
- Cependant, avec la « mobilisation partielle » qui se matérialise par un recrutement généralisé de soldats et les discussions sur l’impact nucléaire qui deviennent de plus en plus réalisables, cette oppression de la dissidence devient plus difficile à maintenir pour le Kremlin.