La dynamique publique des initiatives européennes atteint toutefois ses limites dès lors qu’elle se heurte aux réalités industrielles et capitalistiques. Les grands programmes communs, tels que le FCAS, ont montré combien la répartition des tâches, la propriété intellectuelle, le leadership par piliers et la gouvernance peuvent paralyser.
- Le projet de méga-fusion dans le spatial, “Bromo”, en offre une illustration supplémentaire.
- Les conseils d’administration d’Airbus, Thales et Leonardo se sont réunis pour valider un protocole d’accord (MoU) visant à créer un champion européen des services spatiaux, mais le projet achoppe sur la répartition du capital entre les trois groupes.
- Ceci retarde le rapprochement de Thales Alenia Space, Telespazio, Airbus Space Systems, Airbus Intelligence et des activités spatiales de Leonardo.
- Après une demande initiale d’Airbus à 50 %, les scénarios envisagés oscillent entre 35/35/30, 35/32,5/32,5 et 34/33/33, chaque point de pourcentage reflétant un enjeu de statut et d’influence.
- L’accord, pourtant à portée de main, est repoussé à la suite d’une demande de délai supplémentaire de Thales et Leonardo, alors qu’Airbus était prêt à signer.
- Derrière les entreprises, sans surprise, sont positionnés les États.
- Rome pousse à une stricte parité pour éviter la reproduction d’un déséquilibre de type MBDA (Airbus 37,5%/BAE 37,5%/Leonardo 25%), où l’Italie se trouve minoritaire face à des partenaires plus puissants.
- À Paris, l’actionnaire industriel et l’État, coactionnaire, veillent à ne pas diluer l’influence française dans un secteur de souveraineté régalien.
- Ces pressions politiques, pourtant, peuvent saper la lisibilité industrielle du projet et cela d’autant plus si elles s’accompagnent de contraintes de nationalité dans la gouvernance ou par des verrous symboliques sur le statut d’actionnaire de référence.
- Ainsi, l’Europe de la défense reste aujourd’hui bridée par des architectures privées introuvables.
- Les États portent aussi leur part de responsabilité :
- bien qu’ils mutualisent les fonds et affichent une rhétorique publique ambitieuse en faveur d’une Europe de la défense,
- ils rechignent, tels de grands enfants, à partager leurs jouets – leurs prérogatives nationales et leurs parcelles d’influence — avec leurs frères et sœurs.