Le vieux continent fait vraiment son âge. Au tournant du quart de siècle, ce sont les Etats-Unis qui ont une longueur d’avance. Le rapport Draghi en a fait l’amère et alarmante constatation : le décrochage est général. Les comparaisons entre les économies américaines et européennes, leurs influences diplomatiques, leurs régulations des marchés, leurs capacités militaires ne manquent pas. Quid des capacités du secteur spatial ? Là non plus, l’Europe ne peut plus se reposer sur ses lauriers de premier lanceur des années 1990. Dans la course à l’espace, elle a laissé sa place.
- En quelques dates et chiffres-clés :
- Juin 2010 : Space X lance pour la première fois sa Falcon 9, première fusée réutilisable ;
- Juillet 2013 : l’ESA annonce avoir retenu une architecture proposée par le CNES pour le prochain lanceur lourd européen fabriqué par Ariane Espace, Ariane 6 ;
- Septembre 2013 : le premier étage de la Falcon 9, réutilisable, revient se poser sur Terre après un vol de test en orbite terrestre ;
- 2023 : Ariane 6 devait effectuer trois lancements, mais elle n’est pas prête, les contrats sont finalement redistribués à d’autres entreprises extra-européennes, notamment Space X ;
- Juillet 2024 : Ariane 6 effectue son premier vol de test, une réussite en demie-teinte, et tardive, puisque la fusée n’est pas réutilisable ;
- Octobre 2014 : la FAA approuve le cinquième vol de test de l’architecture du Starship, le lanceur ultra-lourd, ultra-puissant et ultra-réutilisable de Space X.
- Mises en perspective, ces comparaisons illustrent le retard insurmontable pris par les constructeurs européens.
- Même si les initiatives ne manquent pas pour pallier cette déficience européenne, les espoirs institutionnels sont particulièrement tournés vers la filiale privée d’Ariane Groupe, Maia Space.
- Créée en 2022, alors que Space X trustait déjà le marché des lanceurs, même avec des concurrents réutilisables (eux aussi non européens, comme Rocket Lab), Maia Space travaille à développer une architecture de lanceur orbital réutilisable, Made In Europe.
- Mais rien n’est prêt, les 125 millions récoltés pour le développement proviennent en quasi-totalité de l’ESA, qui espère pouvoir envoyer des satellites européens sur une fusée européenne avant qu’Elon Musk ne chuchote à la Maison Blanche de coloniser Mars via Space X.
- En clair, Maia Space ne lève pas de fonds d’investisseurs privés, et les entreprises chinoises, néo-zélandaises (surtout Rocket Lab, dont le siège américain remporte des contrats non négligeables) et américaines (pas que Space X, mais l’entreprise Blue Origin de Jeff Bezos a pris pas mal de retard) sont loin, loin déjà des points noirs dans le ciel.
- Pourquoi s’inquiéter de cela maintenant ? Le manque d’autonomie stratégique de l’Union Européenne n’a jamais été aussi problématique, et l’arrivée de Donald Trump va accentuer le décalage.
- Sur les capacités d’observations : les armées se reposent sur des géolocalisations, des informations observationnelles, des communications, qui passent par des satellites en orbite terrestre.
- Ne pas pouvoir placer soi-même ses outils de défense en orbite, c’est comme demander aux Etats-Unis d’assurer la défense européenne à la place des européens…
- S’autosatisfaire des réussites de Galileo revient à faire l’autruche.
- Pourquoi le besoin d’une fusée réutilisable ? Outre les économies liées à la récupération de la moitié d’une fusée par lancement, un lanceur réutilisable peut avoir un intérêt militaire inégalé :
- transporter, non par voie aérienne mais par voie orbitale, du matériel en moins de deux heures, d’un bout à l’autre de la planète.
- Le rêve de tout stratège ayant une technologie disruptive pareille à sa disposition, le cauchemar de tout envahisseur d’un pays ayant des alliés disposant d’une telle possibilité de ravitaillement…