Europe Info Hebdo

La visite d’État du président chinois à Moscou en plein conflit a fait couler énormément d’encre et de salive. Les commentaires sont innombrables sur la « vassalisation » de la Russie par la Chine, l’affirmation d’un axe anti-Occident, ou les spéculations sur le langage corporel et sur la façon dont la Russie semble devenue le partenaire junior de cette relation, y compris par des photos truquées de Poutine aux genoux de Xi, qui semblent surtout projeter les fantasmes des commentateurs sur le rabaissement du président russe.

• Au fond, l’information réellement importante de cette rencontre est la convergence actée et l’association des deux économies russes et chinoises.
  • Les deux pays sont au début d’une nouvelle relation qui porte essentiellement sur les matières premières et les infrastructures.
    • Ce dernier point est extrêmement important pour la Chine en particulier, et le président chinois a invité V. Poutine au troisième forum « Belt and Road », cet ambitieux projet d’infrastructure eurasienne dont les liaisons ferroviaires traversent la Russie jusqu’à l’Allemagne.
    • La question du pipeline « Power of Siberia » reste ouverte, mais le plus grand projet d’infrastructure à long terme pour les deux pays est probablement le développement de la route maritime arctique, un passage maritime potentiellement beaucoup plus court pour les marchandises asiatiques vers l’Europe.
  • La question n’est donc pas tant de savoir qui est le partenaire principal, puisqu’il s’agit évidemment de la Chine dans ce cas.
    • Les infrastructures et les ressources naturelles sont au cœur du partenariat : la Chine s’intéresse évidemment à la Sibérie en raison de ses richesses minérales encore inexploitées.
    • Or, ce sont là des projets à long terme dont la tectonique, lente, ne révélera ses conséquences que plus tard – peut-être même après le départ de l’actuel président russe.

• De son côté, dans sa chronique géopolitique, Pierre Haski remet cette visite dans la perspective d’un soutien au moment crucial de la mise en accusation par la CPI (voir Etat de droit).
  • En rendant visite à un homme recherché par la justice, Xi renforce le front commun des deux puissances face à un ordre international façonné par l’Occident.
    • Cependant, la livraison par la Chine d’armes létales entraînerait probablement des sanctions occidentales à un moment où l’économie chinoise ralentit.

Xi Jinping chercherait donc à équilibrer sa forte rhétorique anti-américaine avec un désir de se présenter au monde comme un homme de paix, en particulier dans le Sud.

• •  Si la Chine a présenté un plan de paix pour l’Ukraine le mois dernier, celui-ci ne contenait rien de concret, et il reste à voir si Xi peut contribuer à mettre fin au conflit.

• • • En revanche, les visites hautement symboliques de Poutine en Crimée annexée et dans la ville côtière ukrainienne de Marioupol constituent un défi plutôt qu’une tentative de mettre fin à la guerre.
    • L’objectif de Xi est de maintenir la position de la Chine dans le monde et de ne pas se laisser entraîner dans une guerre qui n’est pas la sienne.
      • Il reste à voir si cet équilibre sera préservé dans les mois suivant cette visite.

• Face à « l’encerclement américain » se dessinerait donc un nouveau bloc.
  • Comme l’analyse Alexandre Atino dans le Grand Continent, Pékin et Moscou affichent donc l’ambition « d’une nouvelle vision, un nouveau plan et de nouvelles mesures pour le développement du partenariat stratégique global de coordination sino-russe ».
    • Leur ciment serait des « valeurs civilisationnelles » qui trouveraient leur résonance auprès des pays non-alignés.