DUR DUROV 

Cette fin d’été 2024 aura été marquée par une stupéfaction quasi inédite. Défenseurs de droits fondamentaux, autocrates et médias n’avaient pas – à ce point – été mobilisés depuis l’arrestation d’Augusto Pinochet , venu paisiblement à Londres procéder à des examens médicaux, en vertu d’un mandat d’arrêt international émis par le juge espagnol Baltasar Garzón. Si les faits reprochés ne sont pas les mêmes que ceux dont s’était rendu coupable le dictateur chilien, selon Public Sénat : “Pavel Durov pensait que malgré le mandat d’arrêt émis à son encontre par les autorités françaises, il pouvait, grâce à ses milliards, venir sur le sol français et repartir tranquillement. On assiste peut-être à changement de braquet dans le rapport de force entre puissance publique et patron de réseaux sociaux. Il faut s’en féliciter, c’est peut-être un moment historique. Désormais, Elon Musk devra réfléchir à deux fois avant de se poser en France avec son jet !”. 

  • A bientôt 40 ans, “l’anti Zuckerberg” russe – comme le relate Régis Genté -est un personnage ambigu. 
  • Pavel Dourov, créateur du réseau social VKontakte, qu’il a été contraint de céder à un proche de Vladimir Poutine, a quitté la Russie en 2014. 
  • Créateur de la messagerie Telegram, il tient tête aux services secrets russes lui réclamant les clés de cryptage qui auraient permis de lire les messages des utilisateurs de Telegram.  
  • La décision de justice ordonnant le blocage de son application s’est retrouvée sans effet. 
  • L’homme d’affaire s’est vu reconnaître la nationalité française en 2021, à l’issue d’une procédure permettant à des talents étrangers  : 
  • « qu’ils soient artistes, sportifs, entrepreneurs, lorsqu’ils font l’effort d’apprendre la langue française et qu’ils développent (…) de la richesse, de l’innovation, qu’ils rayonnent dans le monde – quand ils le demandent, de leur donner la nationalité française », explique – et assume – le président Macron à l’occasion d’une conférence de presse du 30 août 2024. 
  • Malgré cela, son opposition au Kremlin n’est pourtant pas franche. 
  • C’est là où le bât blesse : Telegram permet la diffusion de messages à des millions de personnes sans contrôle des puissances publiques. 
  • Telegram, refusant de se soumettre à toute législation, est devenu un instrument très prisé des complotistes, brouteurs, trafiquants et autres promoteurs de haine en ligne. 
  • La plateforme propose une messagerie chiffrée, qui permet d’échanger des messages de l’ordre de la correspondance privée, mais ce n’est pas sur ce volet que le mandat d’arrêt porte.  
  • Telegram rend possible la création de chaînes de commerce illicite.  
  • Sur ces chaînes, une personne ou un groupe de personnes  diffusent des messages de façon unilatérale aux fins de vendre des images et produits illicites.  
  • Pour P. Durov, les lignes rouges de Telegram sont les abus sur les enfants et les ventes d’armes. 
  • L’enquête devrait donc porter sur ces commerces illicites car si les abus sur enfants ne sont pas permis sur Telegram, il semblerait que la vente d’images pédopornographiques – tout aussi illégale – ne pose pas de problème à M. Durov. 
  • Si la balle est dans le camp de l’autorité judiciaire française, l’affaire promet de prendre une tout autre ampleur. 
  • Faute d’outils suffisants, les troupes russes utiliseraient aussi la messagerie cryptée pour les opérations du champ de bataille, du transfert de renseignement à la correction de frappes d’artillerie.  
  • Confronté à ses manquements en ce qui concerne ses chaînes, P. Durov pourrait donc céder aux autorités françaises la clé pour décrypter la messagerie. 
  • Les blogueurs russes sont terrifiés, assure Ivan Filippov, expert de la propagande de Moscou pour TV5. 
  • Un accès du renseignement occidental à la messagerie serait pour eux « un désastre absolu ».