La querelle industrielle et politique autour de l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte oppose désormais deux blocs distincts. Alors que l’Allemagne aura fermé l’ensemble de son parc pour 2022 et que les Verts s’apprêtent à revenir au gouvernement fédéral, la France a refait de la technologie nucléaire un élément central de sa stratégie industrielle et climatique, nationale et européenne. Chacune est soutenue par des partenaires générant une tension et une forte possibilité de blocage au Conseil.
- Soutien de l’Allemagne pour la sortie du nucléaire, l’Autriche, où les écologistes gouvernent en coalition avec les conservateurs depuis janvier 2020, combat avec des arguments juridiques l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie.
- Dans une étude commandée par le ministère fédéral de l’Énergie et du Climat, les auteurs soulignent que le nucléaire ne peut être classé comme « durable », car il n’est pas prévu dans les définitions de l’article 10 du règlement.
- Il ne peut pas non plus être considéré comme « transitoire », car ce qualificatif « ne s’applique qu’aux activités à forte intensité de carbone pour lesquelles il n’existe actuellement aucune alternative à faible émission ».
- Enfin, le principe de précaution l’empêcherait de remplir les critères d’innocuité environnementale, le « do no significant harm principle ». Ainsi, si la taxonomie inclut l’énergie nucléaire, elle risque de « s’exposer à une série de contestations juridiques qui mineraient sa crédibilité ».
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L’Autriche réclame ainsi un traitement différencié pour la mise en œuvre du paquet climat dans les pays sans nucléaire.
- « Les États qui atteindront leurs objectifs climatiques sans nucléaire ne doivent pas être traités de la même façon que ceux qui l’utilisent pour réduire leurs émissions », a déclaré la ministre autrichienne des Entreprises, Margarete Schramböck, lors du Conseil « Compétitivité ».
- Elle craint que les objectifs de réduction de gaz à effet de serre soient plus difficiles à réaliser avec un mix énergétique excluant l’atome, or « il faut mettre la qualité avant la vitesse ».
- Seul le Luxembourg a soutenu sa position, son ministre de l’Economie a indiqué : « En aucun cas les pays refusant le nucléaire ne doivent se retrouver pénalisés dans le contexte du paquet climat ».
- De l’autre côté du ring, des ministres de dix États membres sont à l’offensive pour l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte. Ensemble, ils forment une minorité de blocage, empêchant les autres Etats membres de parvenir à réunir 65% de la population dans le cadre d’un vote à majorité qualifiée.
- Les Français Bruno Le Maire (Économie) et Agnès Pannier-Runacher (Industrie) ont signé, le 10 octobre dans Le Figaro, une tribune avec leurs homologues roumains, tchèques, finlandais, slovaques, croates, slovènes, bulgares, polonais et hongrois.
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« Nous avons besoin de l’énergie nucléaire pour remporter la bataille du climat », martèlent-ils.
- Pour les ministres, le nucléaire est une énergie qui « protège les consommateurs européens de la volatilité des prix, contrairement au gaz actuellement ».
- Dans la controverse sur la taxonomie, la France considère que le nucléaire peut permettre de produire de l’hydrogène vert (cf. EIH) comme énergie clé pour atteindre la neutralité carbone. Mais les opposants considèrent que ce genre d’hydrogène ne peut être qualifié de “vert”. La dispute est partie pour durer.
- Le contentieux prend aussi une valeur géopolitique très forte, puisque le gaz européen provient à 90% d’importations dont la Russie est le principal fournisseur.
- La décision de l’Allemagne de finaliser le projet de NordStream2 et augmentant la dépendance de l’UE au gaz russe pèse lourd dans cette redéfinition des équilibres européens.
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On relève aussi que l’ONG ClientEarth prévient dans une lettre à la Commission européenne que l’inclusion du gaz dans la taxonomie serait « illégale ».
- En effet, l’inclusion du gaz entrerait en conflit avec d’autres législations de l’UE, comme la loi climat et son engagement à la neutralité carbone en 2050 ou même les traités de l’UE, qui imposent de « poursuivre un niveau élevé de protection de l’environnement […] pour lutter contre le changement climatique ».
- Le règlement taxonomie lui-même ne serait pas adapté aux activités gazières, qui ne répondent pas à la définition juridique de « l’atténuation du changement climatique », au cœur de la taxonomie.